C'était de Gaulle - Tome II
retrouve aujourd'hui dans mes notes. Elle me frappe. Jacquet a-t-il eu l'intuition de ce mal étrange qui devait emporter Pompidou ? Et en était-ce déjà une manifestation ?
« Le destin du pays et celui de l'État se trouveront en cause »
Après le Conseil.
AP : « On glose sur votre entretien avec le bureau de l'Assemblée.
GdG. — Oui, il y a eu des cafouillages dans les interprétations. J'ai dit ceci : "Cette année est très importante du point de vue national, parce que c'est l'année de l'élection présidentielle et que, de cette élection, dépend le destin du pays et celui de l'État." Ce qui est absolument évident.
AP. — Certains, de nouveau, ont vu là l'indice qu'un référendum remplacerait l'élection, comme la rumeur en avait couru.
GdG. — Si on vous interroge, vous pourrez dire qu'étant donné les conditions dans lesquelles va s'accomplir l'élection du Président de la République au suffrage universel, il est bien évident que le destin du pays et celui de l'État seront en cause.
AP. — Vous permettez, je prends note. »
Il approuve tellement cette précaution, qu'il écrit lui-même devant moi une phrase, la rature, comme il en ressent le besoin quand on aborde des sujets délicats. Il me recommande de présenter cette formule comme mon commentaire personnel : « Ce n'est pas de la dignité d'un Président de la République que de démentir des commentaires stupides. »
Il me tend la feuille.
LE GÉNÉRAL DE GAULLE
« DÈS LORS QUE L'ANNÉE 1965 DOIT VOIR S'ACCOMPLIR L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AU SUFFRAGE UNIVERSEL, IL EST BIEN ÉVIDENT QUE LE DESTIN DU PAYS ET CELUI DE L'ÉTAT SE TROUVERONT EN CAUSE.
GdG : « Je ne comprends pas cette agitation. Tout le monde sait qu'il va y avoir une élection présidentielle en 65. Un référendum, ça n'a aucun rapport. Quand les Américains élisent leur Président, le destin des Etats-Unis est en cause. Si je n'avais pas été élu, le destin de la nation aurait été différent. Tâchez d'expliquer ça. »
« C'est l'indépendance qui sera en cause dans l'élection »
Salon doré, 21 avril 1965.
AP : « La venue de Gromyko à Paris va être très commentée. Plusieurs journaux parlent de renversement d'alliances.
GdG. — Ça m'est égal, ce que les journaux disent. Ce qui ne m'est pas égal, c'est la masse française. Je veux faire entrer dans l'esprit des Français que, pour la France, c'est l'ère de l'indépendance. C'en est fini avec l'ère de l'impérialisme. C'est ça, le vrai sujet de l'élection présidentielle. C'est ça la seule question. Et tout ce que j'ai fait depuis vingt-cinq ans n'a pas de sens, si ce n'est pour établir définitivement l'indépendance de la France. Définitivement, vous m'entendez ? Sans que ça puisse être remis en question. Tout se résume à ça. C'est l'indépendance qui sera en cause dans l'élection. »
J'admire et je me surprends à craindre que cet enjeu-là ne soit pas, pour les électeurs, aussi évident que pour le candidat.
« Vous êtes mal placés pour m'apitoyer sur la misère paysanne »
Deux mois plus tard, une scène pénible offre de quoi y réfléchir.
Melun, Hôtel de la Préfecture, 17 juin 1965.
Le Général achève une journée harassante, en tout cas pour nous, qui a commencé de bon matin à Chelles, et s'est terminée par Fontainebleau et Melun, en passant par Provins où j'ai eu l'honneur et la joie de le recevoir.
La fatigue a-t-elle joué un rôle dans l'incident qui a suivi ?
Pendant le dîner, le Général, entouré de Joxe, Jacquet et moi-même, a fort peu parlé. Au café, les deux grands patrons de l'agriculture seine-et-marnaise, Louis Rémond, président de la Chambre d'agriculture, et André Marteau, président de la Fédération des syndicats d'exploitants agricoles, m'approchent : « Pourriez-vous nous ménager un moment d'entretien avec M. le Président de la République ? » Quand je les présente au Général, le visage de celui-ci me fait deviner que les choses vont mal se passer.
« Mon général, commence Marteau, nous voulons vous faire part du très vif mécontentement des agriculteurs que nous représentons. Ils ont le sentiment que votre gouvernement se refuse à comprendre l'angoisse dans laquelle ils sont plongés. L'ensemble de la paysannerie française est aux abois. Nous sommes chargés de vous en prévenir. »
Le Général le toise : « Je sais qui vous êtes ! Vous avez chacun des centaines et des centaines
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