C'était de Gaulle - Tome II
CINQ ANS TROP TÔT, QU'UNE MINUTE TROP TARD »
Matignon, samedi 14 novembre 1964.
Chaque samedi matin, Georges Pompidou est tout détendu. La semaine s'achève. Quand il m'aura renvoyé, il n'aura plus qu'à recevoir Couve. À midi, il partira pour Orvilliers. Il aborde avec bonhomie les bruits sur le départ du Général :
« Ceux qui le connaissent le savent bien : à chaque retour de novembre, le Général a le spleen, à cause de l'année de plus qu'il est obligé de compter 1 ! Il a toujours eu peur de la vieillesse, jamais de la mort. Novembre est le mois des hésitations douloureuses. Mais il les surmonte. »
Pompidou se dit persuadé que le Général va se représenter. Quelques indices en feraient douter. Il accentue l'effort pour créer des situations irréversibles : la loi de programmation militaire, l'élimination de la Force multilatérale, la création du Marché commun agricole. Comme si, avant de partir, il voulait avoir créé des faits accomplis, sur lesquels son successeur, quel qu'il soit, ne pourrait plus revenir. Mais beaucoup d'autres signes vont en sens inverse :
Pompidou : « Un homme qui a son tempérament ne décline pas. Mon propre père, qui a soixante-dix-sept ans, est toujours aussi lucide. Pourquoi le Général, chez lequel on ne peut constater aucune baisse d'acuité, aucune diminution d'activité, ne garderait-il pas toute ses moyens jusqu'à quatre-vingt-deux ans ?
« Rien ne l'empêche d'ailleurs d'en faire beaucoup moins dans son second septennat. Le premier aura été extraordinairement difficile. Il y avait tant de problèmes dramatiques à régler et de précédents à créer... Le second serait un septennat de maintenance. Le Général pourrait en laisser faire bien davantage à son Premier ministre, à condition d'avoir confiance en lui. Pourquoi s'obstinerait-il à vouloir régler le prix du lait à l'Élysée ? Il pourrait diminuer son activité de 50 %, tout en continuant à diriger les affaires pour l'essentiel, à donner les grandes impulsions, à implanter le régime par son prestige inégalable.
(Pompidou semble se voir encore pour sept ans à Matignon, ce qui ne l'enchante pas. Mais enfin, s'il le faut...)
« Giscard sait bien qu'il ne sera pas le prochain Président de la République et n'envisage pas de se présenter contre de Gaulle; ni d'ailleurs contre moi, si la question se posait. Tout son jeu consiste à s'imposer comme Premier ministre. Des ambitions plus hautes ne viendraient que plus tard.
« On comprend qu'il louche vers Matignon : après avoir été secrétaire d'Etat aux Finances pendant trois ans et demi, ministre des Finances pendant trois ans et demi, encore sept ans rue de Rivoli, ce serait beaucoup. Et après un poste pareil, surtout de la façon dont il l'a tenu, il n'y en a qu'un autre, c'est celui de Premier ministre. »
Il est manifestement préoccupé par cette concurrence. La question de Matignon se pose pour lui avant celle de l'Élysée.
Pompidou : « La meilleure solution, ce serait encore qu'il se représente »
Il constate que les voyages et les discours publics, notamment au Parlement, ont servi sa popularité, mais considère qu'il doit, dans la période actuelle, rester un peu plus sur la réserve. La limite à son action, c'est toujours le Général : « Si j'en fais trop, le Général finira par dire : "Vous voyez bien. Vous n'avez pas besoin de moi. Vous pouvez très bien me remplacer." Or, vous savez bien que je ne le souhaite pas et que la meilleure solution, ce serait encore qu'il se représente. »
Matignon, jeudi 19 novembre 1964.
Pompidou me glisse : « Giscard montre de plus en plus sa puissance par son arrogance. Il se sait compétent, brillant, incontesté au Parlement. Il se croit irremplaçable. Il affirme sa personne en face de la mienne, pour le jour où le Général ne sera plus là. »
Il dit cela avec un air presque amusé — comme le spectateur d'une comédie politique bien ficelée.
Le 25 novembre 1964, pendant le Conseil, Pompidou m'envoie un billet à propos du projet de loi militaire. Il le conclut : « Je voulais le dire, mais j'ai préféré raccourcir le Conseil. »
Il ne veut pas que le Conseil dépasse deux heures. Craint-il que le Général ne se fatigue, que sa convalescence ne soit pas achevée ? Souhaite-t-il lui montrer qu'il pourra continuer à diriger l'État, tout en ménageant ses forces ? A-t-il le désir de pousser ainsi le Général à se représenter ? Ce qui est sûr,
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