C'était de Gaulle - Tome II
avant. Il ne faut pas qu'il abuse du référendum. Il ne faut pas qu'il lie son sort à l'issue de ce référendum. La majorité présidentielle doit s'incarner dans la majorité parlementaire. Les deux ne doivent faire qu'un. Le Général a voulu une pratique brutale de la Constitution. C'était peut-être nécessaire pour changer les habitudes. Maintenant, ces institutions ne se feront adopter définitivement que par une pratique apaisée; sinon, la greffe sera rejetée. »
Donc, Pompidou sait parfaitement où il veut aller. Il définit avec précision la philosophie du pouvoir, tel qu'il l'exercera s'il est élu : une sorte de compromis historique. Il est prêt. D'évidence, il ne sera pas pris au dépourvu si le Général annonce brusquement qu'il se retire.
« L'année prochaine décidera de la survie de ce que nous avons voulu »
Le 23 décembre 1964, le Conseil se réunit pour la dernière fois de l'année. Le Général marque le coup :
« Je tiens à vous dire que l'année terminée me paraît vraiment satisfaisante. Évidemment, il y a eu des incidents. C'est inévitable. Mais si, au lieu de traiter les choses par le détail, on les voit d'un peu haut — c'est mon rôle —, je considère que pour la République, pour le pays, cette année a été vraiment satisfaisante.
Et de détailler en huit rubriques les prix d'excellence du gouvernement. Son fonctionnement même, dans une cohésion politique évidente. Un budget en équilibre, « c'est incroyable, mais c'est ainsi » ; la stabilisation qui continue à se renforcer. L'amélioration du sort des différentes catégories et de l'équipement social de la nation. Des réformes administratives importantes, sur le rôle des préfets et les comités d'expansion économique. L'organisation d'une défense moderne. Tout ce qui a été fait pour les monuments, pour les théâtres, pour les Maisons de la Culture. Une action extérieure couronnée de succès, « à la fois pour les progrès que nous avons voulus — je parle du Marché commun — et pour ce que nous avons voulu empêcher — la Force multilatérale. L'Histoire, enfin : il faut souligner la réussite de nos cérémonies anniversaires de 1914 et de la Libération. C'est un ensemble qui a eu une grande résonance. Il a culminé dans une séance exceptionnellement émouvante au Panthéon, pour le transfert des cendres de Jean Moulin ; nous avons tous profondément admiré l'insigne discours d'André Malraux.
« Messieurs les ministres, je vous félicite de ce qui est arrivé dans le pays grâce à vous pour cette année.
« L'année prochaine sera à tous égards celle qui décidera de la permanence et de la survie de ce que nous avons voulu. Nous avons voulu constituer un système viable et pratique pour l'époque où nous nous trouvons. Si ce système était abandonné, nous retomberions dans l'ornière.
« Mais je suis très optimiste sur ce que sera le jugement de l'ensemble de la France. »
« Il y a trop d'opposition jusque dans mon entourage »
Après le Conseil, il est toujours sur le même nuage rose. Mais son euphorie n'apaise pas son obsession des tâches à accomplir :
« Il reste deux grandes choses à faire. D'abord, notre retrait définitif de l'OTAN, l'affirmation du principe d'indépendance nationale, le refus de toute intégration. Ensuite, la participation, pour enfinir avec la question sociale. Nous devons rendre ces deux grands choix irréversibles. Je ne vois guère que le référendum qui en ait la capacité.
« Pour ces deux grandes affaires, il y a trop d'opposition ou d'inertie, jusque dans mon entourage. Pour surmonter les réticences, la complicité atlantiste et l'immobilisme social, seul le référendum peut entraîner un mouvement auquel personne ne pourra plus s'opposer.
AP. — Et vous pensez engager ces deux référendums l'année prochaine ?
GdG. — Sûrement pas tous les deux dans la même année. Et probablement aucun des deux. L'année ne s'y prête pas.
AP. — Mais alors... (Je m'arrête à temps.) ...Il n'y a que vous qui puissiez graver dans le marbre de la Constitution des principes aussi à contre-courant. Il vous faudrait bien cinq ans pour y arriver.
GdG (après un instant de silence). — Il vaut mieux partir cinq ans trop tôt qu'une minute trop tard. »
Il est sorti du piège. On dirait qu'il se réserve de répéter son départ de 1946 — plutôt partir avant d'avoir achevé l'œuvre, que de prendre le risque d'abîmer la statue.
Et
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