C'était de Gaulle - Tome II
trop de casseroles, l'attentat simulé, tout ça. Defferre avait une certaine réalité nationale. Il a été un résistant méritoire et méritant. Il avait fait quelque chose au gouvernement, la loi-cadre pour les territoires d'outre-mer, le début de l'émancipation des colonies. Defferre, on pouvait dire : "C'est le maire de Marseille, et Marseille, c'est pas rien; et le ministre de la loi-cadre, c'est pas rien." Tandis que Mitterrand, on ne peut absolument rien avancer en sa faveur.
AP. — Pensez-vous qu'il empêchera Lecanuet de se présenter ?
GdG. — Mais non. Il ne l'empêchera pas.
AP. — Il enlèvera peut-être à Pinay la tentation de se présenter ?
GdG. — Je ne sais pas. Mitterrand aura des voix communistes, parce que les communistes feront passer une consigne : "Il vautmieux celui-là. C'est le début d'une opération de regroupement de la gauche." Il aura des voix socialistes; pas toutes, car il est méprisé, en particulier dans le Nord et dans le milieu ouvrier. Il y a des paquets d'électeurs qui n'aiment pas un type méprisable. Les PSU vont faire campagne contre lui, ou en public, ou sournoisement, parce qu'ils ne peuvent pas le voir et parce qu'il les empêche d'apparaître comme ceux qui pouvaient regrouper la gauche. À mon avis, Mitterrand peut espérer avoir au grand maximum quatre millions et demi de voix 1 . »
« Couve est appelé à prendre des responsabilités »
Salon doré, 13 octobre 1965.
AP : « Pendant que j'étais en Yougoslavie, il s'est passé un grand tohu-bohu dans la presse à propos des bruits sur votre candidature.
GdG (rire malicieux). — Je ne sais pas d'où c'est venu. Ça a commencé par Bernard Lefort 2 .
AP. — Il le tenait bien de quelqu'un.
GdG. — Pour moi, il s'est dit : "C'est sûr que le Général se présente, parce que Pompidou a annoncé qu'il allait parler à la télévision. Or, s'il devait être candidat, il ne parlerait pas maintenant à la télévision."
AP. — On peut faire le raisonnement inverse.
GdG. — Mais enfin, c'est le raisonnement qu'il a fait. Ensuite, son affirmation a rencontré le sentiment de la masse des Français; tout de suite, elle a trouvé un terrain favorable. »
Curieusement, le Général est tout à fait détendu à propos de cette fuite de presse. D'ordinaire, il est agacé par les « élucubrations ». Cette fois, on dirait qu'il est content du bon tour joué à Pompidou.
Je profite de sa bonne humeur pour vérifier qu'il n'a pas changé d'avis : « Le prochain gouvernement sera-t-il très différent de l'actuel ? » « Votre prochain gouvernement » aurait été un peu provocant; mais il est clair qu'il ne pourrait rien dire sur un gouvernement qui ne serait pas le sien. Peut-être parce que l'ambiguïté de la question n'a pas éveillé sa vigilance, la réponse me confirme dans mes certitudes : « Il faudra un gouvernement très différent : l'actuel gouvernement est trop gestionnaire, pas assez réformiste, je ne parle pas pour vous (toujours sa courtoisie envers l'interlocuteur), mais dans l'ensemble. » Puis il ajoute : « Couve de Murville est appelé à prendre des responsabilités. »
Autrement dit: « Couve sera le prochain Premierministre. » Mais il ne l'a pas dit. C'est l'art de la confidence ambiguë.
Pompidou : « Son mutisme à mon égard est de plus en plus inconvenant »
Burin, avec lequel je déjeune ensuite, me raconte que, pendant mon absence, au cours d'une chasse à Rambouillet, Pompidou lui a fait un vif incident à propos de cette fuite de presse, qu'il le soupçonne d'avoir organisée :
« Ça me met dans une position impossible ! Le Général ne m'a rien dit sur ses intentions. J'imagine bien qu'il a pris sa décision. Son mutisme à mon égard est de plus en plus inconvenant ! Et pendant ce temps, l'Élysée organise des fuites pour indiquer que le Général se représente ! Mon devoir était tout de même de me préparer à cette élection dans l'hypothèse, qui semble à beaucoup vraisemblable, où le Général ne se représente pas. Mais maintenant que ce brûlot a été lâché, quelle figure voulez-vous que j'aie ? Comment pourrai-je, s'il annonce en novembre qu'il ne se représente pas, surmonter la déception qu'il aura lui-même créée en ayant laissé entendre au préalable qu'il se représentait ? »
Comme on est loin du Pompidou de 1962 qui se donnait pour un « amateur », acceptant pour quelques mois seulement une fonction de « Premier ministre de
Weitere Kostenlose Bücher