C'était de Gaulle - Tome II
de parler de tout ça à Matignon. » Ce qui veut dire : « N'en parlez pas à Pompidou 1 . »
À l'égard de Pompidou, je suis tenu au secret. Je le comprends : le Général se réserve de l'informer comme et quand il le voudra. Je n'ai pas à m'insinuer dans leur intimité.
Le « secret du roi » me rend l'exercice de plus en plus difficile. Il ne faut pas que Pompidou soupçonne que je sais que de Gaulle va se présenter. Il ne faut pas que de Gaulle soupçonne que Pompidou se prépare à le remplacer. En tout cas, ce n'est pas par moi que l'un ou l'autre de ces soupçons doit passer.
Pompidou : « S'il ne se dévoile pas assez tôt »
Matignon, samedi matin 4 juillet 1965.
Le Premier ministre me questionne sur la date de la conférence de presse du Général, sur ce qu'il y dira, sur la date de l'annonce de sa décision. « Il faut que le Général fasse attention ! Plus il attend, plus il s'engage en fait à se présenter lui-même. S'il ne se dévoile pas assez tôt, il sera, pour ainsi dire, happé par sa propre candidature... »
C'est bien vu. Mais comment transmettrais-je au Général une pareille mise en garde ?
AP : « Sauf s'il ne déclarait sa décision de renoncer qu'au tout dernier moment, de manière à dramatiser et à dire alors : "La solution, c'est de voter pour celui que je vous recommande."
Pompidou. — Oui, sans doute c'est ce qu'il pense.
AP. — Le Général ne m'a rien dit de formel. Mais des indices nombreux, et tous dans le même sens, me donnent pourtant l'impression qu'il va se présenter.
Pompidou (très calme). — Oui, mais d'autres, parmi ses proches, accumulent des indices en sens contraire. De toute façon, ce ne sont que des impressions. Il faut donc se préparer aux deux hypothèses. »
Nos réunions du matin dans le bureau de Pompidou, depuis juin, tournent à la préparation de sa propre campagne. Son cabinet s'en préoccupe de plus en plus. Le Premier ministre nous fait des petits discours qu'il prépare mentalement pour pulvériser les arguments des adversaires. Il semble déjà en esprit devant les caméras ou sur les planches 2 .
Salon doré, 18 août, le Général me reparle de la prochaine campagne, du marasme de l'opposition. Lui aussi, il affûte ses arguments. Il ne prend même plus de précautions oratoires.
Jamais je ne me suis senti à ce point, et pour une affaire aussi grave, placé entre l'enclume et le marteau. Pompidou s'est convaincu, ou son entourage l'a convaincu, qu'il lui fallait passer son été à préparer une campagne pour laquelle les adversaires s'armaient tout à loisir, mais dans laquelle il n'aurait que quelques jours pour se lancer. Prisonnier de ma double loyauté, je ne puis ni trahir les confidences que m'a faites le Général (« Inutile de parler de tout ça à Matignon »), ni jouer pleinement mon rôle dans l'équipe qui prépare la campagne de Pompidou.
« Pinay ne provoquerait pas de passions nationales »
Salon doré, 1 er septembre 1965.
AP : « Puisque vous voulez parler du rôle du Président, vous n'annoncerez pas votre propre décision ?
GdG. — Non ! On me posera la question. Je répondrai : "Je vous promets que je vous le ferai savoir avant deux mois d'ici. C'est-à-dire avant le 9 novembre."
AP (surpris : le 1 er juillet, le Général m'avait parlé de la "fin octobre "). — Vous comptez attendre le 9 novembre ?
GdG. — Je n'ai pas fixé la date. Je ne suis pas pressé.
AP. — Pinay s'est déclaré "en réserve". Tixier-Vignancour s'effacerait peut-être devant lui.
GdG. — Non, Tixier ne s'effacera pas. Pinay a fait l'indépendance du Maroc, il était dans le gouvernement quand j'ai fait évoluer l'affaire algérienne, il n'a jamais pris position pour l'Algérie française.
AP. — Il aurait les rentiers, les possédants, les gens qui boursicotent.
GdG. — Combien y a-t-il de gens qui boursicotent ? Pinay ne provoquerait pas de passions nationales. Comme passions nationales, il y a un certain résidu de passions d'extrême droite, qui a toujours existé, avec l'Action française, avec Vichy, avec Poujade 3 , avec l'Algérie française. Ça, ça existe. C'est une réalité nationale.
« Les communistes, ça existe »
« Et puis il y a une réalité communiste, ou, plus exactement marxiste, vaguement révolutionnaire. Ça existe. Ça a toujours existé en France. Il y a eu les Sections pendant la Révolution, il y a eu la Commune de Paris. C'est une réalité française, qui fut plus ou moins
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