C'était de Gaulle - Tome II
transition ». Il sait qu'il est la chance du gaullisme, fors de Gaulle. Son propos révèle une nervosité inhabituelle. Il imagine que les collaborateurs du Général ne jouent pas le jeu de la stricte égalité des chances entre les deux hypothèses de la candidature ou de la non-candidature du Général. Mais au-delà, je sens s'alourdir un mauvais silence dans le couple qu'il forme depuis si longtemps avec le Général.
« Ils vont emmerder tout le monde »
Conseil du 20 octobre 1965.
Frey nous saisit de l'organisation matérielle de la campagne présidentielle. Il commence par une constatation qui semble une platitude et qui, pourtant, nous fait sursauter: «Le premier septennat finit. » Que le Général se succède à lui-même ou non, ce sera la fin d'une époque. Et quelle époque !
Salon doré, après le Conseil.
GdG : « Dites-leur bien ceci, à vos journalistes. Si les types qui ont manifesté l'intention de se porter candidats vont jusqu'au bout, nous offrirons vingt heures sur les ondes nationales à l'opposition, et nous en réserverons seulement quatre pour le candidat de laV e République. Alors que la IV e ne m'a jamais donné la parole à la radio ni encore moins à la télévision 3 .
AP. — Tout de même, cette fois, nous y allons fort.
GdG. — Ils vont emmerder tout le monde et ça se retournera contre eux. Les gens vont les voir défiler et ils vont dire : "Oh là là, ils nous barbent", et ils les mettront tous dans le même panier. Ça va être insupportable. C'est ce qui s'est produit pour le référendum de 62 : on a donné la parole à tous les partis, ils sont tous venus à la télévision et ça leur a fait le plus grand mal.
AP. — Ils ne parlaient que sept minutes à la télé. Cette fois-ci, deux heures.
GdG. — Sept minutes, ça suffisait pour emmerder tout le monde. Quand ils vont avoir deux heures, deux heures au Marcilhacy, deux heures au Mitterrand, etc., les gens tourneront le bouton.
AP. — Seulement, ils passeront bien mieux que ceux de 62. Tixier-Vignancour est un très bon orateur, Lecanuet aussi.
GdG. — Un orateur, à la télévision, qui tient le coup dix minutes, c'est tout à fait extraordinaire. Alors, deux heures ! Même si on les coupe en quatre !
AP. — Parodi 4 est venu me voir. Nous avons eu une première conversation. Il se posait des tas de questions sur le maintien de l'égalité des candidats. Par exemple, il m'a dit : " Si le Président de la République devait parler en tant que tel en dehors des heures consacrées aux candidats, ça nous mettrait dans un cruel embarras, parce qu'on pourrait dire que ça fausse l'égalité des temps."
GdG. — Vous pouvez lui répondre que, quels que soient les temps, quelles que soient les égalités, on ne peut pas empêcher la République d'être la République, la France d'être la France, et les affaires publiques d'être les affaires publiques. Ceux qui en sont responsables, s'ils ont quelque chose à dire dans le cadre de leurs responsabilités, il faut qu'ils puissent le dire ! Naturellement, s'il s'agit de chanter leur propre candidature, c'est une autre question. Mais le Président a non seulement le droit, mais le devoir d'exercer sa charge. De même pour les ministres. Ne vous laissez pas ficeler !
« Tout ce qu'on pourra raconter, susurrer, chanter, clamer, hurler sur les tréteaux ne servira à rien »
AP. — Souhaiterez-vous que les ministres participent à la campagne en province en tant qu'hommes politiques ? Qu'ils fassent des réunions publiques ?
GdG (me regarde, éberlué). — Mais non ! Quelle idée ! C'est tout à fait inutile. Je crois même que ce serait fâcheux ! Vous savez, la simplification est la règle, dans les grands rendez-vous avec la nation. Le scrutin va se poser d'une façon extrêmement simplifiée. Tout ce qu'on pourra raconter, susurrer, chanter, clamer, hurler sur les tréteaux ne servira à rien.
AP. — Le jour où vous annoncerez votre décision, la situation se clarifiera.
GdG. — Bien sûr ! Tout sera éclairé d'une lumière aveuglante ! Et tous les discours des uns et des autres ne serviront à rien. Le choix sera simple, et il se simplifiera encore pendant la campagne, au lieu de se compliquer. Il faut voir ça de haut !
AP. — Vous ne voyez pas davantage d'utilité à ce que l'UNR fasse des réunions publiques pour vous soutenir ?
GdG. — Bien sûr que non ! Ça ferait plus de mal que de bien. »
En me raccompagnant, le Général me
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