C'était de Gaulle - Tome II
amuser, nous séduire, nous convaincre, nous entraîner.
Sur cette longue séance d'enregistrement, il n'y a que deux raccords à faire. Le premier, parce qu'il n'avait pas regardé la caméra qu'il fallait pour l'exhortation finale. L'autre est de nature politique. Il n'a pas résisté à sa tentation familière de brocarder Lecanuet et ses amis, en les comparant aux « enfants de chœur quiont bu le vin des burettes ». (Il avait essayé la formule devant moi quelques jours plus tôt 6 .)
AP : « Il faut séduire les 15 % de voix Lecanuet. Votre quolibet va les froisser. »
Burin des Roziers m'appuie fortement, Galichon et Pérol approuvent. Le Général accepte de se censurer.
« Le rassemblement qui est avec moi doit se maintenir, dans le succès ou dans le revers »
Conseil du 15 décembre 1965.
Le Général est remonté sur son cheval, et tient à nous le montrer :
« Nous approchons de la fin.
« Il y a quelque chose de très exemplaire dans la campagne : la cohésion et la dignité du gouvernement.
« Nous verrons le résultat : s'il est favorable, nous l'aurons vraiment emporté. Jamais il n'était arrivé qu'il y ait une pareille conjonction de démagogie, de promesses, de tromperies et d'invectives.
« Ensuite, il faudra marcher de façon à élargir le succès et qu'il soit assuré pour la France.
« Si nous ne l'emportons pas, ce qui nous remplacerait est voué à la déconfiture et voue le pays au désarroi et probablement au malheur.
« Il n'est pas possible d'imaginer qu'on gouverne, et surtout qu'on gouverne la France, avec un agglomérat informe, qui deviendrait alors la majorité. Ce serait une escroquerie.
« Ce qui nous remplacerait serait condamné à s'effondrer. Rien ne serait plus important, dans ce cas, que de maintenir cette adhésion de tous ceux que nous sommes. Il n'y a pas pour la France d'autre avenir que ce que nous représentons. Moi-même, ne fussé-je pas à l'Élysée, je ne manquerai pas d'exister jusqu'à ce que la mort me prenne. Et quand elle l'aura fait, il restera quand même quelque chose de ce que nous aurons dit et fait.
« Le rassemblement qui est avec moi doit se maintenir quoi qu'il arrive, dans le succès ou dans le revers.
« Je vous le dis comme je le crois, et je crois traduire votre pensée à tous. Alors, à bientôt. »
Ainsi, battu le 19 décembre, il ne se retirerait pas à Colombey ! Il conduirait l'opposition, il serait le chef d'un nouveau « rassemblement », il se battrait encore « jusqu' à ce que la mort le prenne ».
Nous nous regardons. Nous avons la gorge serrée.
Il a surmonté l'écœurement de dimanche soir. Dans l'épreuve, il retrouve son tempérament d'invincible. Il avait cru vaincre sans combat et s'était démobilisé. Il faut se battre pour vaincre : le voici plus de Gaulle que jamais.
1 Selon l'article 7 de la Constitution révisée en 1962, « seuls peuvent se présenter au second tour les deux candidats qui, le cas échéant après retrait des candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour. L'ordre d'arrivée au premier tour étant : 1. le Général, 2. Mitterrand, 3. Lecanuet, le second tour aurait donc opposé Mitterrand à Lecanuet en cas de retrait du Général.
2 François Goguel, secrétaire général du Sénat et politologue, en publiera l'essentiel quelques jours après dans Le Monde.
3 Un tiers des inscrits a voté non au référendum constitutionnel du 15 octobre 1946.
4 Le poids électoral des agriculteurs était beaucoup plus important qu'aujourd'hui : ils comptaient pour 18 % de la population active, et pour un pourcentage des électeurs du même ordre. Ils s'abstiennent moins que la moyenne et représentent au moins 20 % des votants. La FNSEA avait appelé à ne pas voter pour de Gaulle. On estime que 30 % d'entre eux ont voté pour Lecanuet, soit le double de sa moyenne nationale, et 40 % pour Mitterrand ou Tixier-Vignancour.
5 Diplomate, chargé de la presse à l'Élysée.
6 Voir p. 602.
Chapitre 16
« MAINTENANT, IL FAUT REPARTIR POUR AUTRE CHOSE »
Salon doré, mardi 21 décembre 1965.
Le Général est réélu. Il fait pour lui-même et pour quelques-uns de ses « renvoyeurs de balles » le bilan de cette épreuve. Mon tour vient aujourd'hui.
GdG : « En réalité, s'il n'y avait pas eu la conjoncture, qui s'appelle le Marché commun et qui s'appelle la stabilisation, ça aurait fait 59 ou 60 %. (Le premier tour est si bien
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