C'était le XXe siècle T.1
celui-ci pour Lindbergh et on le porta en triomphe. Cependant les deux aviateurs français hissaient le vainqueur de l’Atlantique dans une petite Renault qu’ils conduisirent vers un hangar dont on ferma précipitamment la porte.
Pendant ce temps, la foule déchiquetait le Spirit of Saint Louis pour en arracher des reliques.
Un peu plus tard, Lindbergh retrouvait l’ambassadeur des États-Unis, bloqué à l’autre bout de l’aérodrome. Aussitôt celui-ci l’emmena à l’ambassade, avenue d’Iéna. Il lui fallut encore raconter son odyssée à l’envoyé spécial du New York Times – qui s’était assuré l’exclusivité du récit – et qui, bon prince, consentit ensuite à ce que Lindbergh s’entretînt avec la foule des journalistes accourus entre-temps.
Ils lui demandèrent s’il n’était pas trop fatigué. Alors seulement, il se rendit compte qu’il n’avait pas dormi depuis soixante-trois heures. Il était 4 heures du matin. Il gagna sa chambre, se jeta sur son lit et s’endormit instantanément.
Pendant la nuit, l’extraordinaire nouvelle courait les fils du téléphone, ceux du télégraphe, les câbles transatlantiques, les ondes de la radio. Le monde vibrait à l’unisson de la victoire de Charles Lindbergh.
Le lendemain, Lindbergh reçut la Légion d’honneur des mains du président de la République Gaston Doumergue. Dès lors, il fut pris comme en un tourbillon. Visite à la mère de Nungesser, réception à l’Aéroclub, déjeuner avec Blériot, rencontres avec les maréchaux Foch et Joffre, visites aux Invalides, à la Chambre des députés, à l’Hôtel de Ville, au Sénat, aux ministères de la Guerre, de la Marine, des Affaires étrangères… L’emploi du temps d’un chef d’État en visite officielle. Discours, discours, discours. Aux interminables harangues, aux dithyrambes trop attendus, Lindbergh répondait avec cette simplicité qui allait en quelques heures lui valoir une immense popularité. Il y ajoutait son sourire franc et timide à la fois. Il semblait tout autant gêné par sa haute taille que par sa gloire soudaine. Devant un tel déferlement, est-ce de l’ivresse qu’il manifestait ? Non. De l’étonnement, toujours. Et rien n’était plus sincère que cet étonnement-là. Du coup, ce héros de vingt-cinq ans, on ne l’en aimait que davantage.
Le conte de fées allait se poursuivre à Bruxelles, à Londres. Le président des États-Unis envoya le croiseur Memphis le chercher. Impossible de décrire l’accueil qu’allait lui réserver son pays. Quatre cent mille personnes écoutèrent Coolidge saluer à Washington le triomphateur. À New York, Lindbergh défila en voiture ouverte devant plusieurs millions d’hommes, de femmes et d’enfants.
On lui avait envoyé plus de deux millions de lettres, plusieurs centaines de milliers de télégrammes. Outre toutes les décorations rapportées d’Europe, il reçut celle de l’aviation américaine. Il apprit qu’on l’avait nommé colonel.
Comment aurait-il pu refuser une tournée triomphale à travers les quarante-huit États ? Il se rendit – en avion, bien sûr – dans soixante-quinze villes. Pour bien montrer qu’il n’était rien désormais de plus régulier et de plus sûr que l’avion, chaque fois il annonçait son arrivée à des heures peu crédibles, comme 11 h 17 ou 15 h 42. Il était toujours exact.
Un mois de repos. Le 13 décembre 1927, il repart pour un vol sans escale, New York-Mexico. Là, de nouveau, le destin l’attendait.
Un grand dîner à l’ambassade des États-Unis à Mexico. Un de plus. À ce genre de cérémonial, Lindbergh commence à être accoutumé. Il sait que la tradition, chez les gens bien nés, est de parler pendant le premier service à sa voisine de droite, pendant le second à sa voisine de gauche, pendant le troisième à la voisine de droite, et ainsi de suite. L’ambassadeur Dwight W. Morrow – ex-sénateur, personnage influent, l’un des chefs du parti républicain – a placé son hôte d’honneur entre ses deux filles. L’aînée est à sa droite, la cadette à sa gauche. L’aînée est si brillante, si gaie, si spirituelle que Lindbergh laisse passer trois services sans songer à se retourner vers la cadette. Au comble de la confusion, il tâche alors de faire oublier un si fâcheux comportement en engageant ex abrupto la conversation. À la jeune fille – elle s’appelle Anne et elle enrage – il ne trouve rien
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