C'était le XXe siècle T.2
ou de nous détruire.
Un ordre bref : que l’on envoie de sa part un câble à Eitingon pour lui exprimer sa pleine confiance.
Il est 11 heures du soir, Staline se lève :
— Et si vous soupiez avec moi ?
Soudoplatov se souviendra de l’humeur « badine » de Staline et du vin de Géorgie mêlé de limonade qu’il avait dû absorber : « S’il était encore en colère, il le cacha fort bien sous sa détermination à poursuivre nos efforts pour éliminer Trotski. »
Un message d’Eitingon parvient à Moscou. Il a vu Ramon Mercader, l’a informé en présence de sa mère que le moment d’accomplir sa mission était venu. La vieille Caridad a donné sa bénédiction à son fils. Compte tenu de la protection dont dispose Trotski, ils sont convenus tous les trois que, plutôt que de tuer Trotski d’un coup de feu, il valait mieux utiliser une matraque ou un couteau, plus facile à dissimuler et dont l’emploi ferait moins de bruit. Eitingon rappelle que Ramon a « déjà tué d’un coup de poignard une sentinelle postée près d’un pont qui devait sauter ». Une précision supplémentaire : « L’assassinat doit prendre l’aspect d’une vengeance personnelle de Mercader contre Trotski qui sera supposé avoir empêché Sylvia Agelof de l’épouser. » Si Ramon est arrêté, il devra prétendre que Trotski a cherché à l’enrôler « dans un groupe terroriste international dont l’objectif était d’assassiner Staline et d’autres dirigeants soviétiques ».
C’est dans des circonstances que l’enquête a parfaitement déterminées que, le 28 mai 1940, trois jours après la tentative ratée, s’est produite enfin la rencontre de Ramon Mercader et de Trotski.
Les Rosmer sont sur le point de quitter le Mexique et de s’embarquer à Vera Cruz. « Jacson » leur a offert de les emmener en voiture et ils ont accepté avec plaisir.
On lui demande d’attendre dans le jardin. Docile, il patiente en faisant quelques pas. Il aperçoit alors, près du clapier, Trotski occupé à nourrir les lapins. Ramon s’approche, salue le Vieux qui, sans s’interrompre, lui serre la main. Ramon ne prononce que quelques mots respectueux. Visiblement, ce comportement plaît à Trotski. Ramon s’éloigne, s’approche de la chambre de Sieva, petit-fils du maître de maison déjà rencontré à plusieurs reprises. Il lui a apporté un planeur et lui en explique le fonctionnement. C’est alors que Nathalie Trotski les rejoint. Elle aussi connaît déjà le prétendu Jacson. Elle lui demande s’il veut se joindre à eux et aux Rosmer pour prendre le petit déjeuner. Ramon accepte.
À son retour de Vera Cruz, Ramon ne se hâte nullement de revenir à Coyoacan. Quinze jours s’écoulent. Il ne reparaît que le 12 juin. Il ne demeure là que le temps d’annoncer son départ pour New York et de confier sa voiture aux gardes afin que ceux-ci puissent l’utiliser en son absence. Il ne reviendra au Mexique qu’un mois plus tard. Trois semaines s’écouleront encore avant qu’il ne hasarde une nouvelle visite à la forteresse trotskiste.
De son côté, Sylvia s’est mise à travailler avec le Vieux. La présence d’une secrétaire russe lui manquait. Le 29 juin, les Trotski invitent « Jacson » et Sylvia à venir prendre le thé avec eux. La visite dure un peu plus d’une heure.
Quand on consulte les rapports conservés par les gardes, on s’aperçoit que Ramon n’est entré dans la maison que dix fois du 28 mai au 20 août. Toujours, il s’est montré un visiteur courtois, respectueux, obligeant. Il apporte quelques fleurs ou des bonbons pour Nathalie.
Cependant, depuis son retour de New York, son comportement a changé. Sylvia remarque que l’humeur de son amant s’est assombrie. Il passe une grande partie de ses journées au lit. Lui qui était communicatif devient taciturne. Il ne retrouve son aisance que quand il parle aux gardes de Trotski. Il cite devant eux les noms de trotskistes de plusieurs pays, il confie qu’il a fait des dons au parti. Il aime parler d’argent et, un jour, propose même à Trotski de jouer avec lui à la Bourse. Il vante le talent à cet égard du patron pour lequel il travaille à New York : les bénéfices pourraient aider la IV e Internationale. Trotski écoute cela avec amusement. Au vrai, rue de Vienne, on ne prend pas Jacson très au sérieux.
Le 17 août, Jacson demande à parler seul à seul à Trotski. Surpris, celui-ci le reçoit.
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