C'était le XXe siècle T.2
l’attentat, c’est Joseph Staline !
Quand Salazar quitte la maison de Coyoacan, grande est sa perplexité. Un soupçon a pris naissance dans son esprit : ne s’agirait-il pas d’un attentat simulé ? Comment Trotski, sa femme et son petit-fils ont-ils pu échapper à une telle mitraillade ? On peut prévoir le parti que Trotski saurait tirer d’un faux attentat. La preuve : d’emblée, il en a accusé Staline. Malgré tout, il y a cet enlèvement, la disparition de Robert Sheldon Harte. Curieux.
L’enquête piétine. Un jour, des policiers surprennent une conversation entre receveurs d’autobus. Ils parlent de l’attentat et des uniformes portés par les assaillants :
— C’est un juge qui les a prêtés. Le juge de Tucabaya.
On interroge le juge. Fort embarrassé, il convient qu’un ami lui a bien demandé des uniformes mais qu’il a refusé. Il accepte de nommer cet ami : un certain Martinez. On le trouve, on l’interroge. Il passe aux aveux :
— Oui, j’ai emprunté des uniformes. Seulement pour faire plaisir à un ami, ex-commandant des Brigades internationales.
Il s’agit du capitaine Nestor Sanchez. Il reconnaît qu’il a fait partie de l’expédition conduite par un peintre, David Alfaro Sigueiros, et un Juif français. Après avoir désarmé les policiers qui gardaient la maison de Trotski, le Juif français s’est entretenu, à travers la porte, avec Robert Sheldon Harte. C’est lui qui leur a ouvert.
— Sheldon Harte a-t-il trahi Trotski ?
Sanchez l’affirme, donnant pour preuve que c’est Harte, au départ du groupe, qui a conduit l’une des voitures.
Trotski, informé, réagit violemment : que Harte ait pu le trahir, voilà qui n’est pas envisageable !
Un peu plus tard, la police découvrira, dans une maison abandonnée du désert de Leones, le cadavre, abattu de deux balles dans la tête, de Sheldon Harte. En souvenir de cet ami fidèle, Trotski fera poser une plaque sur l’une des tours de sa maison :
À la mémoire de
Robert Sheldon Harte
(1915-1940)
Assassiné par Staline.
Il faudra attendre 1994 pour que Pavel Soudoplatov révèle que Iossif Grigoulevitch, agissant au sein du groupe Siqueiros, « parvint à entrer en contact avec l’un des gardes du corps de Trotski, Sheldon Harte ». Bob avait ouvert la porte aux assaillants.
Une ligne encore : « Harte fut liquidé parce qu’il connaissait Grigoulevitch et qu’il aurait pu nous identifier. »
Un mardi de mai 1940, une voiture quitte Moscou et roule vers l’ouest dans la direction de Blijaia , la datcha de Staline, à une demi-heure de voiture de la capitale. À l’intérieur, Beria et Soudoplatov.
Il est fort mal à l’aise, Soudoplatov. Si Staline a souhaité l’interroger, c’est assurément à propos de la tentative d’assassinat de son vieil ennemi. Et de son échec. Staline déteste les échecs.
À peine entré dans le bureau de Staline, Soudoplatov doit en effet s’expliquer. Il le fait de son mieux :
— Si la tentative a échoué, c’est parce que le groupe d’assaut n’était pas composé d’assassins professionnels. Eitingon n’a malheureusement pas pris part au raid. S’il y avait participé, il aurait vérifié les plans de la maison et se serait assuré que Trotski avait bien été éliminé. Personne, dans le groupe Siqueiros, n’avait été formé à fouiller une maison ou un appartement. C’étaient tous des paysans ou des mineurs à peine aptes à la guérilla.
— Et maintenant ? demande Staline.
Soudoplatov, qui s’est concerté avec Beria, explique qu’un nouvel attentat se prépare et que, cette fois, il faudra en exclure les agents soviétiques qui ont réussi à s’infiltrer chez les trotskistes des États-Unis et du Mexique. C’est courir le risque de perdre tout entier le réseau antitrotskiste implanté aux États-Unis et en Amérique latine.
Le regard de Staline se vrille sur Soudoplatov. Il pèse ses mots pour répondre :
— Jusqu’à quel point notre réseau d’agents aux États-Unis ou au Mexique, placé sous l’autorité d’Ovakimian, est-il impliqué dans l’opération contre Trotski ?
— Les plans d’Eitingon sont totalement inconnus d’Ovakimian.
Staline hoche la tête :
— L’élimination de Trotski se traduira par l’effondrement total du mouvement et nous n’aurons plus besoin de dépenser de l’argent pour combattre les trotskistes et les empêcher de détruire le Komintern
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