C'était le XXe siècle T.2
Mercader lui-même, Eitingon l’avait seulement informé qu’il ferait partie d’une équipe chargée de lutter contre le trotskisme au Mexique. Il s’était bien gardé de lui confier que sa mission serait de tuer Trotski (82) .
Au mois d’août 1939, Caridad et son fils s’embarquent au Havre pour New York. On a procuré à Ramon le passeport d’un certain Frank Jacson, combattant canadien des Brigades internationales disparu pendant la guerre d’Espagne. À l’arrivée, retrouvailles émerveillées de Ramon et Sylvia, bonheur absolu qu’ils affichent au grand jour. Ils sont si sûrs de ne plus pouvoir se passer l’un de l’autre qu’ils décident de vivre ensemble comme mari et femme.
En octobre 1939, Eitingon rejoint à son tour New York. Il y installe une société d’import-export : une excellente couverture. En fait, il prépare activement l’assassinat de Trotski par l’équipe Siqueiros qui est d’ores et déjà en place à Mexico. Communiquant avec elle grâce à une radio clandestine, il lui annonce qu’elle sera bientôt renforcée par l’arrivée d’un certain Iossif Grigoulevitch, imposé par Beria lui-même et qui va rejoindre Mexico en janvier 1940. Sa présence ne doit normalement susciter aucun soupçon car son père possède une grande pharmacie en Argentine.
C’est également en janvier 1940 que Ramon est envoyé par Eitingon à Mexico. Sylvia l’accompagne. Nous pouvons logiquement penser que Ramon l’y a encouragée fortement. Même s’il aime Sylvia, comment ne verrait-il pas, dans ses relations avec Trotski, un élément inespéré de sa réussite ? Parce que, maintenant, il sait. Il sait qu’il devra tuer Trotski.
Comment Sylvia n’aurait-elle pas, dès son arrivée à Mexico, rendu visite à Trotski ? Le Vieux la reçoit avec joie. Elle reviendra souvent à Coyoacan. Chaque fois, Ramon l’y conduit en voiture. Il vient la chercher en fin de journée et l’attend patiemment à la porte. Les gardiens remarquent bientôt ce grand garçon à l’allure sympathique. Ils vont finir par bavarder avec lui.
Ramon n’a rien dit à Sylvia. Pour réussir dans sa tâche, il doit manifester une prudence extrême. La moindre maladresse susciterait aussitôt la méfiance de ceux qui protègent Trotski et sans doute de Trotski lui-même. L’accès de la demeure lui serait définitivement interdit.
Des Français amis de Trotski, Alfred et Marguerite Rosmer, sont à cette époque les hôtes de Trotski. Sylvia les connaît de longue date. Quand elle leur parle de son « mari », ils lui témoignent leur désir de le connaître. Un dîner entre les deux couples est organisé. On sympathise. À ce point que le faux Jacson emmènera les Français visiter le pays en voiture.
Au mois de mars, Sylvia doit repartir pour New York. Elle fait promettre à Ramon de ne pas se rendre, en son absence, chez Trotski. Se méfie-t-elle de lui ? Non. Simplement, elle veut se réserver la joie de présenter elle-même l’homme qu’elle aime à son vieux maître.
Or Ramon ne va pas tenir sa promesse. Il faut reconnaître que l’initiative n’est pas venue de lui. Alfred Rosmer est tombé malade. Puisque Ramon dispose d’une voiture, sa femme lui demande de l’emmener à l’hôpital français de Mexico puis, après rétablissement, de le ramener chez Trotski. Ainsi, pour la première fois, pénètre-t-il dans la forteresse. D’ailleurs, il avertit aussitôt Sylvia, par lettre, qu’il a manqué à son serment. Appelé par les Rosmer, il reviendra à Coyoacan. Maintenant qu’il entre librement dans la maison, il va peu à peu rencontrer tout le monde… sauf Trotski. Trois mois vont même s’écouler avant qu’il ne fasse sa connaissance.
Ce qui va donner le temps au groupe Siqueiros de passer à l’action.
Dans la nuit du 24 au 25 mai 1940, tout repose au sein de la grande maison. Tout dort. Léon et Nathalie Trotski dans leur chambre, leur petit-fils Sieva dans la chambre voisine, les secrétaires-gardes du corps dans les leurs, de même que les hôtes français, Alfred et Marguerite Rosmer, et les trois domestiques mexicains.
Un seul homme de garde veille : Robert Sheldon Harte, un jeune Américain. Au-delà les murs, une dizaine de policiers assurent la garde extérieure.
Soudain, une violente fusillade déchire la nuit, tellement proche que le fracas en est insoutenable. Mu par le réflexe immédiat du révolutionnaire, le Vieux se laisse glisser sur le
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