C'était le XXe siècle T.2
s’efforçant, même en anglais, en allemand ou en français, de la construire clairement. Il était courtois, attentif à ne pas créer, même involontairement, les légers malentendus qui peuvent blesser ou jeter une ombre sur les relations personnelles…»
Et Staline ? La machine qu’il a choisie est en marche.
À la tête du réseau appelé à éliminer Trotski, Soudoplatov a désigné Léonide Eitingon, rencontré par lui au Département étranger où il dirigeait la section des opérations clandestines et retrouvé à Barcelone alors qu’il montait des opérations de guérilla derrière les lignes franquistes. Juif de Biélorussie, Eitingon a multiplié les faits d’armes pendant la guerre civile espagnole. Formé à l’Académie militaire de Moscou, intégré à la Tcheka puis à la Guépéou, il s’est retrouvé en Chine où l’ont attendu quelques missions difficiles.
Eintingon a accepté avec bonheur l’offre de Soudoplatov. Les deux hommes en sont convenus : il n’est possible d’approcher Trotski que par le réseau espagnol. Or Eitingon en connaît tous les membres, ainsi d’ailleurs que tous les réseaux d’agents soviétiques aux États-Unis et en Europe occidentale.
Une première équipe est formée rapidement sous la direction de l’un des organisateurs du parti communiste mexicain, le peintre David Alfaro Siqueiros. Il sera doublé d’un second réseau clandestin à la tête duquel on place une aristocrate espagnole, Caridad Mercader. Elle a quitté son mari, homme d’affaires doté d’une grande fortune, s’est enfuie à Paris avec ses quatre enfants et n’a regagné Barcelone que pour participer à la guerre d’Espagne. Son fils aîné a été tué au combat cependant que le deuxième, Ramon, servait dans un détachement de guérilleros.
Eitingon a connu les Mercader en Espagne. Il a recruté Caridad et Ramon comme agents soviétiques. Après la victoire du franquisme, il les a fait passer à Paris. Mais c’est Ramon qui l’intéresse le plus. Il lui a donné l’ordre de jouer le personnage d’un jeune homme d’affaires mondain et de s’abstenir de toute activité politique. Il se présente sous le nom de Mornard, de nationalité belge. Les fonds qui permettent au jeune Espagnol de mener la vie à grandes guides lui viennent naturellement d’Eitingon.
Au début de l’été 1939, Ramon va faire une rencontre qui se révélera lourde de conséquences. Il s’agit d’une certaine Sylvia Agelof, Américaine d’origine russe qui ne fait pas mystère de son appartenance aux groupes américains de la IV e Internationale. D’ailleurs, sa sœur Ruth a travaillé, à Mexico, au secrétariat de Trotski. Sylvia se trouve à Paris en compagnie d’une amie journaliste, Ruby Weill. Selon Nathalie Trotski, c’est cette dernière qui a mis Sylvia en relations avec le soi-disant Jacques Mornard, fidèle au rôle qu’il jouait, « riche, grand voyageur, qui comptait faire une carrière dans le journalisme ». Soudoplatov, venu rejoindre Eitingon à Paris, trouve Ramon fort beau. Il affirmera même plus tard qu’il n’était pas « sans rappeler les traits réguliers de l’acteur français Alain Delon ». Le certain, c’est que son charme s’est exercé auprès de Sylvia qui y a bientôt succombé.
À Paris Soudoplatov a non seulement rencontré les Mercader mais aussi certains membres du groupe Siqueiros. Sa préoccupation essentielle est qu’il n’existe aucun contact entre les deux équipes. Chacune doit continuer à ignorer l’existence de l’autre.
Pendant un mois, Eitingon va initier Caridad et Ramon aux techniques du renseignement. Si la mère et le fils ont participé en Espagne à des opérations militaires fort risquées, si Ramon s’est même battu au corps à corps armé d’un couteau, ils ignorent tout du maniement d’un poste de radio. C’est ce à quoi l’enseignement d’Eitingon veut remédier.
Tout indique que la guerre est proche en Europe. Le moment vient où Sylvia Agelof doit regagner les États-Unis. Les amants se séparent avec douleur. Il nous est aisé d’imaginer la joie de Ramon quand, quelque temps plus tard, il apprend de la bouche d’Eitingon que ses chefs soviétiques leur réservent, à sa mère et à lui, une mission et que celle-ci se situe justement aux États-Unis ! Il va donc pouvoir retrouver cette Sylvia dont il semble réellement et sincèrement épris. D’après ce qu’a révélé, en 1969, Ramon
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