C'était le XXe siècle T.2
elle retrouverait ses débouchés perdus. Surtout, elle se découvrirait de nouvelles raisons de vivre.
Tel est exactement le souhait du jeune officier récemment libéré Engelbert Dollfuss. À un congrès estudiantin, n’a-t-il pas chanté le Deutschland über alles ?
Ce n’est pas l’avis des vainqueurs. Le ministre français des Affaires étrangères, Stephen Pichon, déclare à la tribune du Palais-Bourbon que « la France ne tolérera jamais que l’Autriche fasse partie de l’Allemagne, fut-ce sous la forme déguisée d’une union douanière ». Cela pour une raison remarquablement analysée par Benoist-Méchin : « Laisser l’Allemagne s’incorporer l’Autriche aboutirait à ce résultat paradoxal : elle sortirait vaincue de la guerre plus grande qu’elle n’y était entrée. » Le chancelier Renner aura beau se battre pied à pied, les Alliés ne céderont pas. L’article 88 du traité de Saint-Germain spécifiera sans ambiguïté : « L’indépendance de l’Autriche est inaliénable, si ce n’est avec le consentement du Conseil de la Société des Nations. » L’Autriche devra rayer de sa Constitution la phrase inscrite au premier jour : « L’Autriche est partie intégrante du Reich allemand. »
Pour assurer à leur pays la plus aléatoire des survies, les socialistes au pouvoir ont dû sans cesse négocier des emprunts à l’étranger. Paradoxe : ces hommes de gauche aggravent la dépendance de l’Autriche à l’égard du capitalisme international. Dans de telles conditions, il est logique que le prestige des sociaux-démocrates n’ait cessé de décliner. Dès 1920, le parti chrétien-social – jusque-là deuxième parti autrichien – devient le groupe le plus nombreux au Parlement. Bien qu’il ne soit pas majoritaire, il revendique la direction du gouvernement – et l’obtient. L’homme qui remplace le chancelier Renner est un ecclésiastique, Mgr Seipel, extrêmement populaire. Il ne cache pas son but : se libérer totalement de ceux que l’on appelle les « austro-marxistes ». Très vite, les masses populaires s’apercevront que, sous prétexte de restaurer l’économie, on veut s’en prendre aux conquêtes sociales si difficilement arrachées depuis la guerre.
Quand, en juin 1927, des anciens combattants tirent sur des ouvriers qui défilaient en chantant des refrains révolutionnaires – un mort, plusieurs blessés – et quand les agresseurs sont acquittés, c’est l’explosion. Le 15 juillet, à l’appel de l’organe du parti socialiste, des milliers d’ouvriers marchent sur le centre de Vienne. Une véritable bataille rangée s’engage avec la police. Résultat : vingt victimes.
Désormais, entre catholiques et marxistes, c’est la haine. La rupture est totale entre « noirs » et « rouges ».
Ainsi se profile la nouvelle Europe : en régression absolue par rapport à l’avant-guerre. Ici et ailleurs, retrouvant les impulsions de la Renaissance, les partis s’arment. Mussolini a pris le pouvoir grâce à ses squadroni de Chemises noires, Hitler a lancé ses Sections d’assaut à la conquête de l’Allemagne. Pourquoi pas l’Autriche ? Les sociaux-démocrates créent le Schutzbund . La droite réagit en constituant la Heimwehr , animée par le prince Starhemberg, et le Heimatschutz , sous l’autorité du major Emil Fey. Sans compter des groupuscules de moindre importance, tous également armés.
La plus importante de ces formations est incontestablement la Heimwehr . Elle doit tout au dynamisme et à la fortune d’un seul homme : le prince Starhemberg. Appartenant à la plus ancienne famille d’Autriche et après s’être bien battu pendant la guerre, il s’est retrouvé en Allemagne faisant le coup de feu contre les communistes et les socialistes. En 1923, séduit par Hitler, il a marché à ses côtés lors du putsch de Munich et aidé Goering à se réfugier en Italie. Depuis, Hitler l’a déçu. Abandonnant les brumes wagnériennes du national-socialisme, il s’est fait le chantre, en Autriche, d’un retour aux traditions chrétiennes et patriotiques.
Au Parlement, le sol se dérobe sous les pas de Mgr Seipel. Il va donc choisir de s’appuyer sur la Heimwehr . Première étape dans un processus dont les conséquences vont se révéler incalculables.
Désormais, il faut se figurer l’Autriche, ses villes, ses villages, ses montagnes, ses vallées, sillonnés de groupes armés qui partent
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