C'était le XXe siècle T.2
Peut-être.
À l’âge de dix ans, Engelbert a annoncé à ses parents qu’il se sentait appelé par Dieu. Il voulait être prêtre. Pour ces paysans catholiques, la seule objection tenait au prix des études au séminaire. Inabordables, pour eux, ces études-là. Le curé de l’endroit – le village s’appelait Kirnberg – allait aplanir tous les obstacles en obtenant une bourse pour l’enfant.
Une foi ardente. Des études assidues mais sans éclat. Au fil des années, un esprit qui s’ouvrait au monde. À dix-huit ans, une question essentielle : ai-je vraiment la vocation ? La réponse s’est révélée négative. Engelbert a quitté le séminaire et annoncé qu’il poursuivrait ses études à Vienne, à l’université. Il a rassuré ses parents : cela ne leur coûterait rien. Il se débrouillerait.
Vienne fut pour lui une découverte en forme d’émerveillement. Il ne se lassait point de parcourir les avenues, d’admirer les monuments, de visiter les églises. Pour lui, Vienne – chef-d’œuvre de lignes et de pierres – incarnait la quintessence d’une civilisation où le raffinement de la vie devenait humanisme. Pouvait-il se douter qu’à la même époque, un autre jeune Autrichien, découvrant Vienne à son tour, ne ressentait que de la haine et définirait la capitale comme « l’incarnation de la honte du mélange des sangs », stigmatisant sans relâche un « véritable conglomérat de peuples parmi lesquels on retrouvait, comme l’éternel champignon vénéneux de l’humanité, des juifs et toujours des juifs » ? Ce jeune Autrichien s’appelait Adolf Hitler. Il venait d’échouer à l’école des Beaux-Arts et, sans ressources, était devenu le client assidu des soupes populaires.
Au conseil de révision, Engelbert a été réformé. Trop petit. En 1914, quand la guerre a éclaté, il s’est présenté de nouveau devant la commission militaire. Il n’a pas grandi mais, sous la toise, il s’est, sans qu’on le voie, soulevé sur la pointe des pieds. On a constaté qu’il mesurait 1,52 mètre et on l’a accepté au milieu des rires (26) .
Il s’est battu courageusement, est devenu aspirant puis lieutenant. Il a fini la guerre titulaire de plusieurs citations. Puis, quand l’Autriche a dû reconnaître sa défaite, il s’est retrouvé sans un sou, comme des millions d’autres, dans cette Vienne d’où avaient fui les Habsbourg. Désemparé.
Que reste-t-il de l’empire orgueilleux qui naguère réunissait deux États, onze peuples et dix-neuf pays différents ? Simplement « les morceaux d’un puzzle disloqué (27) ». À Vienne comme à Budapest, la révolution gronde. Partout, les peuples de l’immense mosaïque ont conquis leur indépendance. Tout a volé en éclats : l’ancienne administration, l’armée, les cadres, les traditions.
L’Autriche des traités de paix n’est plus qu’une petite république de 6 710 000 habitants, dont 1 865 000 vivent dans la capitale. Économiquement, le nouvel État n’est pas viable. Ses chemins de fer ne conduisent nulle part. Les filatures viennoises ont perdu leurs débouchés : les usines de tissage de Bohême. Les Hongrois qui, jusque-là, dépendaient de l’industrie électromécanique autrichienne ont créé leurs propres centrales. C’est le règne de l’inflation, du chômage, du déficit budgétaire : cinq milliards de couronnes. Huit cent mille chômeurs, des prix qui galopent. La ruine.
Sur ce fantôme d’État, les sociaux-démocrate – premier parti autrichien – régnent. Dès la proclamation de la république, un socialiste, le Dr Karl Renner, a assumé les fonctions de chef du gouvernement. Le 13 novembre 1918, il a proclamé clairement ses ambitions et formulé des vœux pour « que l’Allemagne et l’Autriche ne forment qu’une seule race et une seule communauté liées par le destin ».
Un seul mot résume tout : Anschluss , en français réunion. C’est donc un parti de gauche qui, le premier, a préconisé l’ Anschluss ? N’oublions pas qu’il n’est point d’histoire sans chronologie. Plus tard, la gauche autrichienne refusera farouchement l’ Anschluss avec l’Allemagne nazie. En 1918, pourquoi n’aurait-elle pas considéré favorablement la réunion avec une autre république allemande où gouvernaient aussi des socialistes ? On a ôté à l’Autriche ce qui est le sang des peuples : sa grandeur. Réunie à la République allemande,
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