C'était le XXe siècle T.2
d’ailleurs le roi Albert de Belgique – le roi chevalier.
Au printemps de 1934, Louis Barthou, au terme d’un voyage triomphal en Europe centrale, s’est rendu à Belgrade. Notre ministre des Affaires étrangères est habité par une obsession : le danger allemand. Depuis que Hitler a pris le pouvoir, cette hantise est devenue angoisse. Ce que veut Barthou, c’est nouer autour de l’Allemagne un système d’alliances en forme de cordon sanitaire. Dans ce but, la France a appuyé la candidature de l’Union soviétique à la Société des Nations. La grande idée de Barthou est de rapprocher l’URSS de la Yougoslavie, et la Yougoslavie – pourquoi pas ? – de cette Italie qui demeure si hostile à Hitler.
C’est beaucoup demander au roi Alexandre. Au vrai, il hait les Soviets qui ont exécuté son beau-frère, un Romanoff. Il sait pertinemment que Mussolini a soutenu les oustachis.
Avec une patience et une conviction infinies, Barthou lui a demandé d’aller au-delà de ses rancœurs et de ses antipathies. Il a rappelé au roi qu’il avait adhéré à la Petite Entente ainsi qu’à l’Entente balkanique et que son meilleur soutien était la France. Peu à peu, il l’a persuadé. Le voyage à Paris devait mettre le point final à cette évolution.
Sur le quai de la gare de Zurich, Pospichil, Raitch, Krajli descendent du train. Souriant, Kvaternik tend la main aux trois hommes. Il prononce le mot de passe :
— Za dom .
Les trois hommes, à l’unisson, répondent :
— Spramni .
Pas un instant à perdre. On part aussitôt pour Lausanne où l’on descend à l’hôtel des Palmiers. Kvaternik distribue à chacun un passeport tchécoslovaque. Il explique que cette nationalité a été choisie « parce que la Tchécoslovaquie est un pays ami de la France ».
— Vous risquerez moins d’avoir des problèmes avec la police.
L’ennui, c’est que ces oustachis, avec leurs vêtements de paysans, semblent sortir d’un bois. Et puis, ils empestent. À Lausanne, Kvaternik va se mettre en devoir de leur acheter d’autres habits. On brûle les anciens dans la cheminée de l’une des chambres.
Comment entrer en France ? En prévision du voyage du roi Alexandre, la police ne manquera pas de surveiller les frontières. Rester groupés se révélerait gravement imprudent.
Kvaternik – le beau Dido – décide que Vlada et Krajli entreront en France par la voie ferrée et franchiront la frontière au poste de Vallorbe. Pospichil et Raitch traverseront le Léman en bateau et débarqueront à Évian, où le contrôle – tourisme oblige – est pratiquement nul. Kvaternik les accompagnera.
Tout s’accomplit le mieux du monde. Les cinq se retrouvent à Bellegarde où ils prennent le train pour Fontainebleau. Dans le couloir du wagon, Kvaternik va révéler à chaque oustachi, l’un après l’autre, le but réel de la mission.
— Nous sommes en France pour tuer Alexandre.
Ont-ils manifesté de l’étonnement ? Le journal de l’Oustacha – qui reparaît – vient d’annoncer qu’Alexandre le dernier, définitivement condamné à mort, sera abattu dans un avenir proche « où qu’il aille et quoi qu’il fasse ». Dans cette perspective, quoi de plus naturel que d’entendre, là, dans le couloir de ce wagon : « Nous sommes en France pour tuer Alexandre » ?
De Fontainebleau, on gagne Paris en car. Vlada et Raitch prennent des chambres à l’hôtel Regina, rue Mazagran, près de la porte Saint-Denis. Pospichil et Krajli descendent à l’hôtel du Palais d’Orsay. Kvaternik a préféré s’isoler de ces hommes un peu trop voyants : il réside à l’hôtel Commodore, boulevard Haussmann.
Le roi arrivera à Marseille le 9 octobre. Restent neuf jours. Kvaternik a tant et tant ressassé la même consigne que chacun se l’est mise en tête : il faut sortir le moins possible. Pour ne pas se faire remarquer, on passe de longues heures au cinéma. Vingt romans ont analysé l’attente d’hommes chargés de tuer. Les heures coulent et la nervosité grandit. Ces hommes-là ont pourtant été dressés à oublier la peur. Peut-on en faire totalement abstraction ?
Les armes ? Un couple d’oustachis, Jean et Marie Vondracek, en apporte. Ils cachent, dans des valises de cuir jaune, un véritable arsenal. Kvaternik en remet une partie à Pospichil et Raitch, en même temps qu’il leur fait connaître la décision déjà prise et mûrement réfléchie : Vlada et
Weitere Kostenlose Bücher