C'était le XXe siècle T.2
froidement, lui a tiré à bout portant un coup de revolver dans la tête. Arrêté, condamné à mort, il a été libéré à la suite de menaces pressantes de Mihailov et de son ORIM. Reprenant sans délai l’exercice de son « métier », Vlada a abattu un journaliste dans son jardin : un traître à l’ORIM. Nouvelle arrestation, condamnation à perpétuité. De nouveau, une démonstration « insistante » de Mihailov : on libère encore une fois Vlada ! Le chauffeur déclare à tous ceux qui veulent l’entendre que sa priorité désormais est de faire sauter le palais de la Société des Nations à Genève et d’exécuter Alexandre Karageorgevitch.
En ce qui concerne le roi Alexandre, il faut faire vite. La date du voyage royal approche. Tuer Alexandre en France ? Excellente idée, estime Vlada. Sa joie augmente quand il apprend que c’est Eugène Kvaternik lui-même qui prendra la direction du commando. Quatre hommes y participeront, dont naturellement Vlada.
Quels hommes ?
Pour les choisir, Mio Bzik, émissaire de Pavelitch, s’est rendu au camp de Nagy Kanitza qui, en Hongrie, a survécu aux dernières vicissitudes de l’Oustacha. Là, dans un environnement sauvage, les oustachis vivent une existence quasi monacale, passant, des cours de formation politique à l’entraînement paramilitaire. L’arrivée du délégué du Poglavnik a pris figure d’événement. Les oustachis se sont rassemblés autour de Bzik. Tous – ou presque – ont participé à des attentats ou des meurtres. Bzik ne leur a livré aucune précision sur la mission dont allaient être chargés trois d’entre eux. Il a dit seulement que « le grand quartier général, dans le cadre de la lutte pour la libération de la Croatie », avait « décidé d’éliminer certains de nos adversaires ». Il a révélé qu’un commando allait être désigné, dont le signe de reconnaissance serait : Za dom (pour la patrie). À quoi il faudrait répondre : Spramni (prêt). Le commando devrait se rendre en Suisse, à Zurich, où son chef le rejoindrait :
— Vous devez obéir à ses ordres, comme s’ils vous étaient donnés par le Poglavnik. Partout où il vous dira d’aller, vous irez. Tout ce qu’il vous dira, vous le ferez. Et maintenant nous allons passer au tirage au sort.
Dans la main de Bzik, un sac. Il s’y trouve autant de cubes qu’il y a d’oustachis présents. Tous blancs, sauf trois qui sont noirs. Les hommes qui tireront les cubes noirs devront partir pour Zurich. Chacun plonge sa main dans le sac. Ceux qui ont tiré des cubes noirs se font connaître.
Le premier oustachi désigné par le sort s’appelle Pospichil. L’image, a-t-on dit, de « la cruauté et du mal ».
Le deuxième répond au nom de Raitch. Emigré au Brésil, c’est à Sao Paulo qu’il a adhéré à l’Oustacha. Il a regagné l’Europe pour « servir » et, tout aussitôt, s’est vu chargé de jeter des bombes.
Le troisième se nomme Krajli. Lui aussi a ses lettres de noblesse : il accompagnait Pospichil lors de l’assassinat d’un journaliste à Zagreb.
Aucun des trois ne s’est permis de poser la moindre question. La gravité de Mio Bzik, la solennité qui avait enveloppé le cérémonial du tirage au sort ont néanmoins fait penser à Raitch – il le dira – qu’il s’agissait de tuer Alexandre. Le lendemain, ils ont quitté le camp pour Munich d’abord, puis pour Zurich où ils savent que doit les attendre le chef du commando.
Sur le quai de la gare de Zurich, le 28 septembre 1934, un homme fait les cent pas, très grand, vêtu d’un long pardessus gris, coiffé d’un chapeau mou également gris : c’est Eugène Kvaternik. Près de lui, un homme trapu, chauve, d’apparence inquiétante et les yeux vides d’expression : Vlada le Chauffeur.
Notons que, pendant cette expédition, les oustachis vont changer deux fois d’identité. On épargnera au lecteur ces noms qui n’auraient pour résultat que de rendre notre histoire à peu près incompréhensible. Que l’on veuille bien se souvenir que les membres du commando sont Eugène Kvatemik, Vlada Kerim, Pospichil, Raitch et Krajli.
Pourquoi Alexandre a-t-il décidé de se rendre en France ?
Depuis 1918, la France et la Yougoslavie se voulaient étroitement liées : souvenir de la fraternité du front. Parler de l’héroïque Serbie restait chez nous un leitmotiv en forme de cliché. Volontiers, on appelait Alexandre – comme
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