C'était le XXe siècle T.2
jamais. Son chef se nomme Mihailov. Il n’existe cependant aucun lien entre les Croates et l’ORIM. C’est Ante Pavelitch qui va le nouer.
Avec déférence, on l’appelle docteur Pavelitch. Avocat, marié, il a trois enfants. Ses amis l’ont, pendant des années, considéré comme un homme rangé, tout en ayant toujours su que Pavelitch était nationaliste. Cet attachement viscéral à la terre natale remonte à l’avant-guerre : il adhérait alors au parti du Droit, hostile à la présence austro-hongroise en Croatie. En 1918, il s’est prononcé pour l’autonomie croate. Il a plaidé pour les Croates poursuivis par Belgrade. Élu député en 1925, il a comme Raditch envisagé la possibilité d’une opposition légale. Après le massacre du Parlement, il a cessé d’y croire.
Persuadé que seule serait efficace une résistance clandestine, il s’est cherché des alliés. La police du royaume, redoutable, découvre ses menées. Pavelitch doit s’exiler à Vienne. Le tribunal de Belgrade le condamne à mort.
Entre Alexandre et Pavelitch, la guerre est déclarée.
Ante Pavelitch cherche des contacts à l’étranger. Les Italiens n’aiment guère le roi Alexandre I er . Pavelitch s’adresse donc à eux. Ils se montrent intéressés. Sûr d’être soutenu, l’avocat crée alors l’ Oustacha , mot qui signifie insurrection.
Même s’il s’agit d’une organisation secrète, le juriste Pavelitch tient à lui donner des statuts. À la tête de l’Oustacha se trouvera un Poglavnik , ou chef suprême : ce sera lui, Pavelitch. Il dirigera tout, ordonnera tout. Les oustachis lui doivent une obéissance aveugle. Si l’on se dérobe aux ordres du Poglavnik, une seule peine : la mort !
Le serment que doivent prêter les oustachis sonne déjà comme un programme :
— Je jure par le Dieu tout-puissant de combattre dans les rangs des oustachis pour une Croatie libre et indépendante, d’exécuter tous les ordres du Poglavnik, dût-il m’en coûter la vie. Si jamais je devais trahir, que la mort seule soit mon châtiment. Ainsi le veut la loi de l’Oustacha !
Comment Pavelitch ne serait-il pas hanté par le souvenir des sociétés secrètes dont les hauts faits ont exalté son enfance ? L’ORIM macédonienne déteste autant que lui Alexandre I er . Pourquoi ne pas prendre contact avec Mihailov, son chef ? Il le rencontre à Sofia. Sans se faire prier, Mihailov lui propose de l’argent, des armes, des instructeurs. Ce qu’attend Pavelitch, c’est que PORIM enseigne aux oustachis à tuer. Mihailov fait même à Pavelitch un « cadeau » qu’il juge inestimable : il lui prête son propre chauffeur. Vlada le Macédonien, Vlada la Terreur, Vlada le Chauffeur – comme on l’appelle alternativement – est un tueur à l’état pur. La meilleure gâchette des Balkans selon les connaisseurs.
Le gouvernement du roi Alexandre s’inquiète et réclame à l’Autriche l’expulsion de Pavelitch. L’avocat ne se déconcerte pas, il passe en Italie, se fait recevoir par le comte Ciano, secrétaire d’État à la Propagande et futur gendre de Mussolini. Il est accueilli à bras ouverts. L’antagonisme italo-yougoslave ne fait que croître. On estime à Rome qu’une Croatie indépendante, alliée de l’Italie, constituerait un fer de lance contre le royaume d’Alexandre Karageorgevitch. Désormais, dans l’Italie mussolinienne, Pavelitch sera persona grata . Il ne manquera jamais d’argent, d’armes ou de lieux d’entraînement.
Pavelitch a le vent en poupe, il recrute. On dénombre un million et demi de Croates émigrés en Autriche, en Hongrie, en Amérique latine, aux États-Unis. Une propagande qui s’adresse à leur fibre sensible – le nationalisme, bien sûr – va réussir au-delà de toute espérance. L’argent afflue, les volontaires aussi. Ceux-ci reçoivent une solide instruction militaire.
Le haut lieu de leur entraînement est le domaine de Janka Puszta en Hongrie. Dotés d’uniformes kaki, de casquettes militaires, les oustachis y vivent à l’écart du monde, cultivent la terre, se suffisent à eux-mêmes et surtout s’entraînent : au tir, à l’arme blanche, au lancer de grenade. La cible qu’un oustachi digne de ce nom doit obligatoirement atteindre n’est autre qu’un mannequin représentant le roi Alexandre.
Le but fixé par Ante Pavelitch n’a pas changé : il s’agit toujours d’abattre Alexandre. Quand le souverain honni sera au
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