C'était le XXe siècle T.2
que lui, ministre des Affaires étrangères, y soit aussi ?
La lassitude l’emporte. Barthou décroche son téléphone, appelle Piétri, lui demande de bien vouloir, à Marseille, représenter seul le gouvernement. Première réaction du ministre corse – le plus courtois des hommes – : accepter. Un peu plus tard, cependant, il rappelle :
— À Marseille, il m’appartiendra d’aller en mer accueillir le roi. Pour le recevoir à terre, il faut que ce soit vous. Vous devez aller à Marseille.
Barthou soupire. Il sait que Piétri a raison. Il acquiesce. Le 8 au soir, Barthou et Piétri, accompagnés par le général Georges, prennent le train pour Marseille où ils arriveront le 9, à 10 h 10 du matin. Ils sont accueillis par le préfet Jouhannaud et les autorités militaires de Marseille.
Dès la veille, est arrivé à Marseille le directeur de la Sûreté nationale, Jean Berthouin. Il n’a pas participé à l’organisation du voyage, mais ne se cache pas d’être préoccupé. Comment les rumeurs d’un attentat ne seraient-elles pas parvenues jusqu’à lui ? On a affirmé que Berthouin avait gagné Marseille par le même train que Barthou et Piétri. C’est inexact. La fille de Pierre Jouhannaud, alors préfet des Bouches-du-Rhône, m’a écrit avoir été « le témoin partiel, le 8, d’une discussion extrêmement vive, dans la salle de billard de la préfecture » entre son père et Jean Berthouin, « Mon Père tentant, jusqu’à la dernière minute, de s’opposer à une visite royale à Marseille qu’il jugeait, spécialement pour des raisons locales d’ailleurs – préparation des élections cantonales, libération de la classe le 6 – particulièrement inopportunes ».
Mme F. P. Jouhannaud assortit ce témoignage de réflexions qui me paraissent aller loin : « Sur le fond du problème, sur les menaces dont le roi était l’objet, les risques que courait sa personne, le complot si patiemment ourdi contre lui, aucune information ne fut jamais donnée à mon Père… Si le ministère de l’Intérieur était si complètement informé, pourquoi M. Berthouin n’a-t-il pas tenu mon Père au courant et a-t-il maintenu un programme dangereux, aggravé même par l’allongement du séjour et du parcours royal ? Comment se fait-il que M. Sisteron, également représentant du ministère de l’Intérieur, puisque contrôleur général chargé des voyages officiels, ait pris la décision – combien regrettable – de changer, en dernière minute, l’ordonnancement du service d’ordre en prescrivant aux cyclistes qui devaient encadrer la voiture royale de se placer devant et derrière mais pas sur les côtés et ce à l’insu de mon Père ? Le quai d’Orsay n’étant évidemment pas moins bien instruit des dangers courus par le roi, pourquoi M. Barthou – le ministre des Affaires étrangères – a-t-il exigé une voiture découverte pour transporter le roi ? Car c’est lui qui l’a réclamée, avec véhémence, le matin même, alors que mon Père avait choisi sa propre voiture, une berline noire. Ce qui explique la vétusté du véhicule où le roi a pris place, le marchepied, etc. Ces décisions des plus hautes instances du quai d’Orsay et du ministère de l’Intérieur ne laissent pas d’être troublantes, elles rendent perplexes et conduisent à de multiples interrogations. (31) »
La réponse tient tout entière dans l’inexplicable inertie des services français.
Quelques jours plus tôt, une réunion s’était tenue à l’Élysée. À mon intention, le général Béthouard a bien voulu en évoquer la teneur. À l’époque lieutenant-colonel, il était attaché militaire en Yougoslavie. Il se souvient d’avoir « littéralement bombardé » le gouvernement français de lettres et de télégrammes annonçait sa « quasi-certitude de l’attentat ». Or, convié à cette réunion de l’Elysée, il avait eu la surprise de constater que les autorités policières n’avaient pas eu connaissance de ces mises en garde : elles n’avaient été transmises ni au directeur de la Sûreté, ni au préfet de police !
Pour parer à ce grave péril, qu’a-t-on entrepris ? On a « éloigné » deux cents ressortissants d’Europe centrale, on en a arrêté quelques-uns. Rien de plus. En ce qui concerne la préparation du séjour d’Alexandre à Marseille, on s’est entièrement reposé sur le contrôleur général Sisteron.
Pourquoi
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