Chasse au loup
sous l’impact d’un coup de feu. Margont, le visage éclaboussé de sang, vit la bête s’effondrer sur le côté tandis que Relmyer était précipité à terre, une jambe et un étrier en l’air et les mains tirant sur des rênes devenues brutalement inertes. Cette première balle fut aussitôt suivie d’un concert de détonations. Un hussard de l’avant-garde, fauché, partit en arrière tandis que la monture de son compagnon s’écrasait avec son cavalier. Des nuages de fumée blanche se matérialisaient partout : dans les fourrés, derrière les troncs... Une silhouette grise épaula Margont mais Lefine lui décocha prestement un coup de pistolet qui l’atteignit à la cuisse.
— Ce sont des miliciens ! À mort la Landwehr ! s’écria le maréchal des logis-chef Cauchoit.
Le sabre à la main et entraînant dans son sillage son ami le trompette et quelques hussards, il lança une charge droit sur une masse de fantassins qui se formait sur la route. Ces Autrichiens n’étaient pas des soldats de métier. Ils avaient cru que l’effet de surprise et le succès de leur première volée mettraient les Français en déroute. La trentaine d’entre eux qui venait de se placer à découvert pour mieux ajuster ses tirs fut percutée de plein fouet par les cavaliers. Le maréchal des logis-chef se démenait, en transe. Son sabre s’abattait avec furie, blessant, tuant, tuant, blessant... Le trompette portait ses coups exclusivement au visage et à la gorge, ne laissant derrière lui que des corps morts et défigurés, déshumanisés. La troupe de miliciens disparut en un éclair ; ce carnage sema la confusion chez les Autrichiens. Bien qu’ils fussent encore nombreux et, pour la plupart, abrités derrière des troncs, plusieurs d’entre eux s’enfuirent, se volatilisant à travers la végétation. D’autres continuaient à cribler les Français de coups de feu. Le pauvre guide réquisitionné, pris pour un traître, reçut deux balles dans le dos. Les hussards s’engouffrèrent au trot dans les bois, riant de leur peur. Leurs pistolets faisaient mouche et leurs sabres ne dépassaient personne sans l’avoir étendu. Relmyer, déjà dégagé, debout, gluant du sang de son cheval, parcourait fébrilement les fourrés des yeux. Il ne se préoccupait pas de ses hommes. Il ignorait jusqu’à la bataille qui faisait rage autour de lui. Il indiqua une direction. Le tir qui avait abattu sa monture provenait de là.
— C’est lui ! C’est lui qui a tué Franz ! Lui !
Une telle coïncidence était impossible. Relmyer avait-il succombé à la folie ? Ou les avait-on trahis ? Dans les bois, l’officier que désignait Relmyer se détacha des combattants pour prendre la fuite. Cet Autrichien arborait un habit gris aux parements rouges sur les revers des manches et le col. L’élégance de son uniforme contrastait avec les manteaux grossiers de certains miliciens. Des mèches châtain clair dépassaient de sous son bicorne noir bordé de doré. Margont entr’aperçut brièvement son visage. Il lui donnait dans les quarante ans. Relmyer s’était déjà lancé à sa poursuite dans les bois, un pistolet dans une main et son précieux sabre dans l’autre. Tout autour de lui, c’était l’hallali. Les hussards, quoique largement inférieurs en nombre, avaient définitivement pris l’ascendant sur leurs adversaires. Ils se ruaient en hurlant sur tout ce qui bougeait. Leurs chevaux plongeaient dans les groupes de miliciens, bousculant les corps, et les cavaliers sabraient comme ils auraient fauché de l’herbe. Margont se retrouva face à une vague d’Autrichiens en déroute. Combien étaient-ils ? Des dizaines ? Il crut qu’il cillait être écharpé, mais sa seule présence exacerba la panique des fuyards. Ce flot humain ricocha sur lui et les miliciens s’égaillèrent dans une autre direction. Margont voulut poursuivre sa route, mais des mains se levèrent tout autour de lui. Il venait de faire quinze prisonniers. Un hussard jaillit d’un bosquet, le sabre brandi. C’était le trompette de la compagnie d’élite. Il passa en coup de vent au milieu de ce qu’il prit pour une poche de résistance et expédia une attaque vers le visage du cavalier qui, selon lui, commandait à toute cette racaille. Margont eut à peine le temps de plonger contre le cou de son cheval. La pointe perça son shako. Il voulut crier pour corriger cette méprise, mais le trompette était déjà loin,
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