Chasse au loup
qu’ils veulent dans un endroit tranquille. Dans l’île de Lobau, nous risquerions d’être dérangés par un officier supérieur opposé aux duels ou par des gendarmes impériaux au zèle excessif. Je me souviens de la promesse que je vous ai faite, mais, là, la situation ne dépend pas de ma volonté.
En dépit de l’ombrage, Margont transpirait comme s’il s’était trouvé sous un soleil de midi.
— Trois duels... Le premier en sera peut-être un. Seulement, si vous êtes blessé, le second ne sera qu’un meurtre, une exécution !
— Pas du tout. Si je suis blessé, nous examinerons tous ensemble la blessure. S’il s’avère que celle-ci est superficielle, mon adversaire sera déclaré vainqueur et j’enchaînerai avec le duel suivant.
Margont l’interrompit d’un geste. Il ne supportait plus ce règlement et sa logique qui conférait une illusion de raison à cette folie. Cependant, Relmyer, tout à ses explications, poursuivit :
— Bien évidemment, une blessure sérieuse entraîne la suspension des combats. Le problème peut venir d’une contestation. Si l’unanimité ne peut pas être obtenue à l’amiable, l’avis d’un médecin sera sollicité et cette dernière opinion sera souveraine. La fatigue sera traitée de la même façon. L’épuisement reporte un duel d’une journée, une blessure grave au jour suivant le rétablissement plein et entier.
— Enfin pourquoi ? Pourquoi prendre plus de risques encore ?
— Vous posez cette question parce que vous ignorez ce qu’est la vie d’un duelliste renommé. Bien sûr, il attire à lui les lames avides de le battre. Mais le voilà célèbre. Partout, on le craint autant qu’on l’admire et qu’on l’envie. 11 s’enrichit en donnant des leçons et en remportant des duels qui sont autant de paris sur lesquels il peut miser. Il prend de l’avancement, vite et beaucoup. Sans mon sabre, je ne serais pas lieutenant. Lieutenant à vingt ans ! Certaines femmes – superbes, je vous l’assure – sont prêtes à toutes les damnations pour qu’un bretteur réputé les serre dans ses bras.
— Tout cela vaut-il la peine de mourir ?
— Tout cela vaut dix fois la peine de mourir. Qu’un seul de ces sabreurs me serve deux centimètres de métal dans la poitrine et cette vie est pour eux. Prenez Pagin, par exemple. Il y a encore quelques mois, il avait peur de tout et de tout le monde. L’apprentissage du sabre l’a transformé. Regardez aujourd’hui son assurance, sa joie de vivre... Voilà pourquoi il galope sans cesse partout : il rattrape les années qu’il a perdues à demeurer inerte, englué dans ses peurs.
Margont chassa de la main les mouches qui tournoyaient autour de la tête de son cheval et l’agaçaient sans relâche.
— Vous êtes semblable à lui. Pagin se « remplit de fer » pour affronter un danger imprécis qui le tourmente. Vous agissez de même. Sauf que vous, vous avez une idée plus claire de la menace que vous affrontez.
— Oui et non. En partie seulement. Moi, j’ai été blessé par ce qui m’est arrivé. Mon épée est ma béquille : enlevez-la-moi et je m’effondre. Je lui suis reconnaissant de m’aider à marcher de nouveau et, en même temps, elle me rappelle le passé et elle attire les duellistes.
Margont le contemplait avec une compassion mêlée de crainte : à ses yeux, Relmyer était atteint d’une maladie grave qui étendait peu à peu son emprise.
— Vous avez commencé à vous entraîner au sabre pour apprendre à vous défendre. Seulement, les armes sont comme le vin, elles finissent par s’emparer de vous. Lukas, vous êtes devenu le fourreau de votre lame.
— Tant que mon enquête ne sera pas résolue, je ne pourrai pas me débarrasser d’elle. Après, j’essaierai...
Le maréchal des logis-chef Cauchoit rapprocha sa monture.
— Votre conversation est bien trop compliquée. Plutôt dix jours de gloire que dix mille de médiocrité.
— Superbe épitaphe, lui répondit Margont.
Puis, se tournant vers Relmyer, il ajouta :
— Supposons que vous remportiez ces trois affrontements : combien de duellistes seront attirés par ce triple... succès ?
— Mais tous ! Mon duel avec Piquebois n’est même pas la seule cause de cette situation. Ma réputation pèse lourd... Il n’est pas très aisé de...
Pour chasser les mouches qui le tourmentaient, le cheval de Relmyer venait de lever la tête lorsqu’une partie de celle-ci éclata
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