Chasse au loup
pourchassant les silhouettes qui couraient. S’agissait-il vraiment d’une erreur due à la confusion générale ? Margont empoigna l’un de ses deux pistolets d’arçon et dut lutter contre l’envie d’abattre le cheval de ce forcené. Pagin arriva sur ces entrefaites, la lame sanglante, le visage griffé par les branchages. Il contempla Margont et les captifs avec des yeux étonnés.
— Victoire ! vociféra-t-il en se dressant sur ses étriers, sabre levé vers les cieux.
Son hurlement fit courber le dos de la quinzaine d’Autrichiens. Relmyer revenait vers eux au pas de course.
— Il s’enfuit ! Pagin, ton cheval !
Le hussard n’osa pas protester et mit pied à terre. Margont tenta de parler, mais Relmyer bondit en selle et lança sa monture qu’il éperonna jusqu’au sang. Margont le suivit, abandonnant Pagin qui, dédaigneux des prisonniers, cherchait quelqu’un à combattre. Les deux cavaliers dépassèrent le maréchal des logis-chef Cauchoit qui épouvantait à lui seul un reste de compagnie. Il était couvert de sang et laminait tout ce qui s’opposait à lui. Un véritable ange biblique de la destruction.
Margont se retrouva dans une clairière artificielle. Quelques chevaux autrichiens piaffaient, attachés à des branches. À l’autre bout de cette étendue de troncs coupés, des silhouettes fuyaient au galop.
— Il a peu d’avance sur nous ! cria Relmyer.
Les montures de Relmyer et de Margont filaient, dévoraient la distance. Elles étaient d’une tout autre espèce que les bêtes vieillies que l’armée autrichienne fournissait aux miliciens. Petit à petit, les fuyards devenaient plus faciles à distinguer. L’officier au bicorne pointa son arme dans leur direction.
— C’est lui ! hurla Relmyer.
— Baissez la tête ! avertit Margont.
Une détonation éclata. La balle manqua sa cible. Le fugitif changea de tactique, donna un coup de rênes et disparut dans la forêt. Relmyer vibrait.
— Il oblique vers le nord-est. Il veut rejoindre le côté autrichien, mais le Danube lui barrera la route.
Les deux poursuivants s’engouffrèrent à leur tour dans les bois. La silhouette de l’Autrichien apparaissait et disparaissait par intermittence. Margont utilisa coup sur coup ses pistolets d’arçon pour tenter d’abattre la monture, en vain.
— Nous nous éloignons de notre armée !
— Où est-il passé ? s’angoissa Relmyer.
L’homme semblait avoir été happé par la végétation.
Margont ralentit l’allure de son cheval et le fit bifurquer sur un sentier.
— Par ici.
Le fuyard avait pris un chemin mal entretenu. Margont avait remarqué de justesse son uniforme gris à travers le fouillis des fourrés. Relmyer, qui avait failli s’égarer, avait été dépassé par son ami et frappait la croupe de sa jument du plat du sabre. Son cheval remonta en trombe et doubla en force la monture de Margont, l’expédiant hors du sentier. Ce dernier se dégagea et reprit son galop. Il sentait la peur enfler en lui. Il était désormais convaincu que rien de ce que faisait le fugitif n’était lié au hasard. Relmyer et lui ne voyaient ici qu’un labyrinthe végétal incompréhensible alors que leur adversaire s’y déplaçait comme s’il s’agissait des rues de sa ville natale. Margont ne se sentait plus comme un chasseur traquant un loup, mais comme un brochet se jetant à pleine vitesse sur un hameçon. Il cria à Relmyer :
— Il connaît cette forêt : c’est lui qui maîtrise cette poursuite, pas nous !
Relmyer ne l’écoutait pas. Il repérait autre chose. La monture du milicien n’était pas à la hauteur de la tactique de son cavalier. Elle commençait à montrer des signes de fatigue. La sienne, en revanche, le cou tendu et les naseaux frémissants, grignotait l’écart qui les séparait. Margont avait du mal à ne pas se laisser distancer. Il n’était pas rompu aux poursuites. Les branchages fouettaient son visage, le déconcentrant, tandis que les buissons meurtrissaient ses jambes et les flancs de son cheval. Relmyer, étranger à ces souffrances, brandissait son sabre, promesse d’une sanction foudroyante. Le terrain était maintenant en pente douce, ce qui entraîna une nouvelle accélération de la course. Le fugitif manoeuvrait sa monture au milieu des obstacles. Il bifurqua subitement sur la droite, abandonnant la piste pour s’engager dans un enchevêtrement de petits buissons. La végétation l’avala. C’était
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