Chasse au loup
au nombre de conscrits français, il prenait des proportions dangereusement élevées. Ces soldats, inexpérimentés et plus ou moins motivés, remplaçaient les vétérans tués sur les champs de bataille ou mobilisés par la guérilla espagnole. L’Empire s’appuyait sur son armée. Or Margont décelait de discrètes fissures... Cela raviva sa peur de mourir. Celle-ci habitait chaque soldat. On s’y habituait comme on pouvait mais, régulièrement, sans crier gare, elle vous envahissait. Margont réagit. Il lui fallait plus de vie, tout de suite, ici même !
— Herr Ober ! Du café, de la crème et des pâtisseries ! commanda-t-il.
— Et du schnaps ! ajouta Lefine.
Le serveur leur apporta aussitôt le tout, souriant intérieurement en imaginant la tête de ces Français quand il leur annoncerait la note...
Luise arriva enfin, accompagnée de deux hussards auxquels Relmyer avait donné l’ordre de veiller sur elle dans cette ville emplie de militaires. Elle ne répondit pas aux salutations et posa une feuille sur la table, au milieu des tasses et des miettes.
— Voici les noms de plusieurs personnes qui tiennent les registres des effectifs militaires autrichiens. Il y en a trente-deux.
CHAPITRE XXIII
Les jours s’écoulaient. L’été avait succédé au printemps. La chaleur était plus forte encore. Le climat militaire, pareil à une coupe en cristal placée dans le four de ces journées de canicule, s’approchait de son point de rupture qui le ferait éclater en une bataille tita-nesque. Désormais, Napoléon passait tous les jours des troupes en revue. De même, il inspectait souvent ses ponts, soucieux à l’idée que les Autrichiens réitèrent la tactique des ponts rompus d’Essling. Ces ouvrages impressionnaient. Il y en avait partout, comme s’il avait fallu sans cesse en construire pour faire oublier les effondrements répétés des premiers. Ils reliaient la rive ouest à l’île de Lobau et aux îles voisines et ces îles entre elles, tissant une sorte de toile d’araignée. On avait même installé des réverbères sur certains d’entre eux. On les protégeait par des estacades de pilotis en amont, des fortifications surchargées de canons, des troupes, la flottille des dix canonnières et une myriade de petites embarcations.
Pendant ce temps, Margont, Lefîne, Relmyer, Pagin et Luise essayaient d’en apprendre un peu plus sur les trente-deux suspects en interrogeant des Viennois réticents à parler. Ils se heurtaient à tant d’obstacles que, petit à petit, le découragement les gagnait. Relmyer était convaincu que l’assassin avait trafiqué lui-même les registres. Trop de noms avaient été rajoutés : un complice aurait fini par deviner ce qui se passait, or qui pouvait accepter de s’associer à une telle ignominie ? Par conséquent, contre l’avis de Margont, il s’était mis à rayer les noms de ceux qui, manifestement, ne pouvaient pas être le meurtrier qu’ils traquaient. Il les traitait comme des suspects innocentés. Pas de gris, uniquement un monde en noir et blanc. De plus, si cette hypothèse n’était pas la bonne, leur enquête risquait de tourner court et Relmyer ne pouvait tout simplement pas envisager une telle option. Il s’obstinait donc à espérer que l’une des biographies et l’une des descriptions physiques coïncideraient avec ce qu’ils savaient de l’assassin. Un autre problème subsistait. Leur liste de suspects était forcément incomplète. Relmyer, qui en était conscient, devenait de plus en plus tendu. L’heure qui tournait l’obsédait et les nuits le conduisaient au bord de l’exaspération. Selon lui, personne ne se renseignait assez vite. Régulièrement, ils se rassemblaient dans un café pour faire le point, mais même ce genre de lieu ne parvenait plus à soulager leur tension.
Le 14 juin, à Raab, le prince Eugène avait remporté une grande victoire sur les soldats de l’archiduc Jean et ses renforts hongrois. Le 24 juin, il battit une seconde fois les Autrichiens, soutenus cette fois par des Croates. Le prince Eugène se retrouva alors libre de pouvoir rejoindre Napoléon. Peu de temps après, on vit apparaître les premiers éléments de son armée. Jour après jour, les divisions d’Eugène arrivaient. Chacune était pareille à un poids pesant plusieurs milliers d’hommes qui venait faire pencher de plus en plus clairement le plateau de la balance du côté de Napoléon.
Le 30 juin, tous
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