Chasse au loup
étaient une nouvelle fois attablés dans un café viennois. Luise exposait ce qu’elle avait appris sur tel ou tel nom de la liste mais, quoi qu’elle pût dire, ce n’était jamais assez aux yeux de Relmyer.
— Bref, ce monsieur Liedel est marié, il a deux enfants, des cheveux châtains et il habite dans la Naglergasse, s’énerva Relmyer. Parfait. Et ensuite ? On ne peut pas le rencontrer, car il sert dans les volontaires viennois et nous attend de l’autre côté du Danube. Ce pourrait être notre homme comme ce pourrait ne pas être lui. C’est le douzième de la sorte ! Ils travaillent tous dans le même ministère, ils se trouvent tous dans le même cas et, de toute façon, personne ne veut nous parler d’eux, car nous servons dans l’armée française !
— Fouillons leurs maisons à la recherche d’un portrait... proposa Lefine.
— Je ne sais pas... répliqua Relmyer, dubitatif.
S’offrir un portrait était une habitude coûteuse d’aristocrate ou de bourgeois : tout le monde n’en possédait pas. Il existait également un autre problème, nettement plus ennuyeux.
— Si nous agissons ainsi, je pense que nous n’atteindrons même pas la cinquième maison, annonça Margont. Les habitants se plaindront de nous, on nous prendra pour des pillards et nous serons fusillés. Ou, avec de la chance, nous passerons seulement quelques jours en prison et on nous relâchera la veille de la grande bataille...
— Moi, je le ferai ! le nargua Pagin.
Relmyer remercia le jeune hussard d’une tape sur l’épaule.
— Quentin a raison. L’affrontement est imminent, alors l’Empereur ménage plus que jamais les Viennois.
— Il faudrait rencontrer l’un de ces hommes, répéta Margont pour la énième fois.
— Ils n’ont quand même pas tous rejoint l’armée ou fui la capitale, dit Luise. Nous allons forcément mettre la main sur l’un d’entre eux.
Margont parcourait la liste du regard. Relmyer l’avait couverte de son écriture minuscule et irritée, accumulant les informations et les taches d’encre.
— Cessez donc de relire cela sans arrêt ! s’énerva Relmyer.
L’index de Margont désigna un nom : Konrad Sow-sky.
— Celui-là est rayé ! déclara aussitôt Relmyer avec colère. Nous n’avançons pas assez vite : faut-il encore que vous fassiez des retours en arrière ?
Puisque le doigt de Margont s’obstinait, il ajouta :
— Ce n’est pas notre homme : ce Sowsky est obèse.
— C’est le motif pour lequel nous l’avons barré, en effet, répondit Margont. Mais à quel point est-il obèse ?
Relmyer le fixa comme il aurait contemplé un fou. Luise intervint.
— Il doit peser bien plus de cent kilos. J’ai pu parler à son épouse et à certains de ses voisins afin qu’ils me le décrivent. Ils m’ont dit que Sowsky se déplaçait avec beaucoup de peine et s’essoufflait facilement.
— Donc il est impossible que ce soit notre homme, répéta Relmyer.
— Tout comme il est impossible qu’il serve dans les volontaires viennois et qu’il se trouve avec l’armée autrichienne, contrairement à ce que sa femme vous a déclaré, Luise. Aucun bataillon de volontaires n’accepterait un invalide dans ses rangs. Lui, il est resté à Vienne !
CHAPITRE XXIV
La maison était petite, coincée entre deux bâtisses plus massives. Une demeure discrète dans un quartier modeste. Tandis que Relmyer s’obstinait à marteler la porte, Margont se tourna vers Lefine et Pagin.
— Fernand, va faire le guet, l’air de rien. Vous, Pagin, veillez à empêcher les voisins de sortir sinon l’un d’eux risque d’ameuter les gendarmes. Mais pas de brutalités !
On ouvrit enfin la porte. Une Autrichienne au chignon noir tissé de gris se tenait en travers du passage. Luise lui parla avec douceur :
— Vous vous souvenez de moi, Frau Sowsky ? Luise Mitterburg. Avant-hier, je suis venue vous questionner au sujet de votre mari.
— Il n’est pas là, je vous l’ai dit.
— Je me porte garante de ces deux officiers.
— Il est ici et nous entrons, trancha Relmyer d’un ton sans appel. Nous désirons juste lui parler.
Mme Sowsky céda. Inutile d’énerver plus encore ce hussard en défendant la cause perdue de son mensonge... Son mari fut facile à trouver. Il se tenait assis dans la pénombre de sa chambre, l’endroit le moins chaud de sa demeure. Margont ressentit une immense pitié en le contemplant. Son épouse avait quarante
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