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Cheyenn

Cheyenn

Titel: Cheyenn Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Emmanuel
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dossier leur enlève toute autre valeur que d’indice, je n’ai même pas la permission de vous en signaler l’existence, mais croyez-moi, ces lettres sont très belles. Il se leva comme pour couper court puis parut se raviser : vous vous demandez peut-être pourquoi je m’investis personnellement dans cette affaire, après tout j’aurais pu me contenter de signer les réquisitions… Si quelque chose me touche à ce point, reprit-il sans se départir d’un curieux sourire, c’est peut-être pour la même raison que vous. Il marqua un temps. Et surtout je n’aime pas ce qu’ils lui ont fait subir, je n’aime pas ça, il n’y a qu’un mot pour qualifier cette chose : la barbarie. Il s’était assombri, sa voix s’était brisée, je crus qu’il allait ajouter quelque chose mais il ne dit rien de plus. Le jeune inspecteur venait d’arriver à notre hauteur. Il me serra la main avec vigueur et murmura bonne chance pour votre film, merci et bonne chance.
    La secrétaire un peu paniquée m’avertit qu’un drôle de personnage rôdait autour de mon bureau. Je ne sais par quel miracle Lukakowski avait trouvé son chemin jusqu’à l’immeuble de la Télévision et dans ce labyrinthe jusqu’à mon bureau. L’homme en riait encore, il riait de ma surprise comme de l’affolement de ma collaboratrice, il riait d’être arrivé au cœur de la maison à images qui avait fait de lui, croyait-il, une espèce de héros national. La raison de sa visite tenait dans cet énorme sac de chanvre, noué d’une cordelette en nylon orange et qu’il gardait précieusement entre ses jambes. Je crus à une facétie de plus mais quand il dénoua la cordelette et ouvrit le ballot, en sortit quelques objets tels une chaînette, un porte-plume, une perruque crasseuse, une pipe à embout recourbé, une sorte de couverture assemblant de vieilles loques usagées, je compris qu’il ne pouvait avoir constitué lui-même un tel fatras. Il m’affirma avoir trouvé le sac sous les piles d’un pont du périphérique et avoir dû le chercher longtemps, car Cheyenn le changeait souvent de cache, parfois il le reprenait dans le squat et le gardait tout contre lui en lui parlant doucement, très doucement, comme s’il y avait une jolie créature à l’intérieur. Lukakowski arborait un large sourire édenté. Je le remerciai et il me répondit par un balancement de tête en me demandant si je ne voulais pas l’interviewer à nouveau. Je n’en fus quitte qu’en lui glissant un billet. Il disparut en chancelant dans le couloir, m’obligeant à ouvrir grandes les fenêtres pour chasser l’odeur.
    Parmi les autres objets du sac : un couteau rouillé sans manche, une canine (de chien ?), une médaille de la Vierge, des coupures d’anciens francs, enfin une besace en skaï comprenant une large languette qui avait dû être décousue d’un chapeau et une coiffe au bandeau de plastique perlé, aux plumes multicolores, pièce de costume d’Indien comme il s’en vend dans les magasins de farces et attrapes avec là quelque chose de neuf, plastique, brillant qui tranchait sur le caractère crasseux du reste. Au revers intérieur de la besace, ces grandes lettres gravées au Bic bleu : DORS MON PETIT CHEYENN TU AS GRANDE FATIGUE MAINTENANT QUE NIMHOYE TE REMET DANS TES RÊVES ET POUSSE LE GRAND VENT DU DÉSERT CHASSE LA MALADIE CHEYENN L’OISEAU MONTE ET TOMBE ET C’EST LE SAC-MÉDECINE ET LE NIMHOYE QUI REVIENT. Sur le coup d’une certaine excitation je composai le numéro de Mauda Mancini. Sa voix était lointaine au téléphone, entrecoupée de longs temps morts, comme si elle ne me croyait pas tout à fait et hésitait sur l’attitude à adopter. Finalement elle consentit à ce que nous nous revoyions mais elle préférait que ce ne fût pas chez elle, plutôt dans un endroit public, disait-elle, un lieu où nous ne serions pas seuls.
    Nous nous revîmes donc le surlendemain à la terrasse d’une brasserie qui donnait sur un parc. L’après-midi était tiède, égayée de cris d’enfants qui jouaient sur des balancelles et des toboggans. Elle arriva en retard, s’assit le plus loin de moi que possible, le regard vaguant du côté du parc et des jeux pour enfants. M’écouta sans apparente surprise lui parler de la trouvaille de Lukakowski puis finit par me donner quelques réponses évasives à propos de la fascination de Sam pour les Amérindiens. À vrai dire elle ne savait pas comment cela avait commencé, cela

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