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Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Titel: Christophe Colomb : le voyageur de l'infini Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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Cristobal ne sortait pratiquement plus de sa cabine. Il
passait ses jours et ses nuits à recopier et à mettre au point son journal de
bord, l’enrichissant sans cesse de notes et de références érudites, mais aussi
d’allusions aux manquements à la discipline commis par Martin Alonso Pinzon ou
Juan de la Cosa. Un peu comme s’il préparait sa défense en vue d’une éventuelle
comparution devant les conseillers des souverains pour expliquer les raisons de
son échec.
    Inquiet de ne pas le voir paraître lors des repas, Luis de
Torres avait forcé sa porte. Il l’avait trouvé alité sur sa couchette, entouré
de livres et de cartes, noircissant fiévreusement des pages et des pages,
marmonnant d’étranges imprécations en dialecte génois, tantôt riant aux éclats,
tantôt brandissant le poing en direction d’un interlocuteur invisible. Il avait
chassé son visiteur, prétextant vouloir prendre un peu de repos. Nul ne l’avait
revu depuis. Cristobal attendait la nuit pour se faufiler hors de sa tanière et
se rendre à la nacelle installée à l’arrière du navire qui tenait lieu de
latrines publiques, un simple siège suspendu au-dessus des flots. Le cul battu
par les vagues si la mer était forte, c’est là que les marins se soulageaient,
s’essuyant au moyen d’une corde enduite de poix. Par dérision, ils avaient
surnommé l’endroit « le jardin », allusion à son emplacement dans
leurs logis. L’amiral était un homme comme les autres, il lui fallait bien
soulager ses besoins naturels. Il le faisait à la dérobée, attendant que tous,
à l’exception des hommes de veille, soient endormis.
    Depuis qu’il ne se montrait plus, l’humeur de l’équipage
avait changé. Dans la journée, les marins ne chantaient plus en effectuant les
mêmes tâches répétitives : laver le pont à grande eau, vérifier l’état des
voiles, faire fonctionner les pompes pour évacuer l’eau de la cale, entretenir
les cordages, attraper un thon ou des daurades pour améliorer l’ordinaire. Tout
cela, ils l’accomplissaient en silence, se surveillant les uns les autres.
Quand ils n’étaient pas de quart, ils restaient près du bastingage, contemplant
l’océan qui s’étendait à perte de vue devant eux. Ils ne jouaient plus aux dés
et avaient cessé de sculpter des morceaux de bois. Plus aucun d’entre eux ne se
lançait dans le récit de ses aventures passées. Ils n’en avaient pas envie car
une sorte de peur diffuse leur tenaillait le ventre.
    Une peur bien particulière. Depuis qu’ils avaient échappé
aux herbes, ils ne craignaient plus que leurs navires soient engloutis par
cette masse verdâtre. La mer était d’huile. Pendant deux jours, elle avait même
été si calme que les hommes s’étaient longuement baignés, nageant d’un navire à
l’autre, plongeant et replongeant du haut de la dunette. En tous les cas,
jusqu’à présent, ils n’avaient essuyé aucune tempête, aucun grain de vent, et
rien n’indiquait qu’ils auraient à le faire dans les jours à venir. La mer
n’était pas démontée et ils avaient assez d’eau, de vin et de provisions pour
poursuivre pendant encore un ou deux mois leur navigation et, le cas échéant,
reprendre la route du retour, en limitant peut-être les rations quotidiennes.
Or c’était cela qui les inquiétait, l’idée que ce voyage pouvait ne jamais se
terminer. La terre, s’il y en avait une, se dérobait constamment à leur vue,
déployant devant elle une masse d’eau inépuisable.
    Mais la mer Océane n’avait peut-être pas de fin ! Cette
perspective, qu’aucun d’entre eux n’osait évoquer, les terrifiait.
    Ils étaient pourtant tous de vieux loups de mer, à
l’exception, peut-être, des mousses. Ils avaient bourlingué en Méditerranée,
dans le golfe de Gascogne, le long de la côte d’Afrique, passé des journées et
des journées entières sur l’eau, affronté de fortes tempêtes, vu leurs navires
manquer d’être renversés par de gigantesques lames. Ils en venaient maintenant
à regretter ces épisodes fastes. Car, alors, ils n’étaient au plus qu’à un jour
ou deux, peut-être trois, d’une côte. Cette proximité d’un rivage avait quelque
chose de rassurant. Là, ce n’était pas le cas. Dans le meilleur des cas, s’ils
rebroussaient chemin en direction de la Castille, il leur faudrait au minimum
trois semaines pour apercevoir les rivages de Hierro, la plus éloignée des îles
Canaries. S’ils

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