Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
aussi noire que le charbon. Ces
schismatiques prétendent descendre de Salomon et de la reine de Saba. Leur roi
vit dans un pays infesté de lions et de bêtes féroces. Ses palais sont de
misérables huttes de torchis et ses soldats ne possèdent même pas d’épées en
bon acier de Damas. Ce n’est pas d’eux que nous viendra le secours.
— Il viendra assurément, j’en suis persuadé. Feu
monseigneur le duc de Bourgogne avait fait vœu de se croiser.
— Ah oui ? Où sont ses navires ? Auraient-ils
fait naufrage ? Il n’est jamais venu et je doute fort que son fils ait
envie de tenir sa promesse. Il lui faudrait de l’or, beaucoup d’or, pour réunir
assez d’hommes afin de délivrer Jérusalem. Or l’or est aux mains des Infidèles.
Giovanni Ferrante poussa un soupir et se signa
mécaniquement. Il avait hâte d’en finir avec le commis. Il ne regrettait pas
d’avoir endormi sa vigilance. Certes, il en était de deux tonneaux de viande
qu’il lui avait fallu remplacer. Mais, tandis qu’ils devisaient, cet idiot
avait laissé monter à bord deux tonneaux de biscuits aussi durs que la pierre,
et rongés par les charançons. Quand Cristoforo découvrit la supercherie, la
caraque se trouvait déjà à hauteur de l’île de Négroponte [2] .
Il était hors de question de faire demi-tour pour une telle peccadille,
l’équipage ferait carême avant l’heure !
Au large de la Sicile, la Santa Luciana essuya une forte
tempête. Le vent s’était soudainement levé et la mer déchaînée semblait vouloir
engloutir le navire dont les flancs étaient battus par de puissantes vagues.
L’eau s’engouffrait par paquets dans la cale où les matelots s’affairaient aux
pompes. À leur côté, Cristoforo s’efforçait tant bien que mal de protéger
quelques précieux ballots de soie. Une trombe d’eau le renversa. Sa tête heurta
un tonneau et il perdit connaissance.
Quelques heures plus tard, il revint à lui. À sa grande
surprise, il constata qu’il avait été transporté sur le château arrière de la
caraque, là où se trouvaient les cabines du capitaine et du pilote, et celle
réservée à un passager de marque, Federigo Centurione. Il avait la tête bandée
et était couché sur une mauvaise banquette de bois qui faisait office de lit.
Devant lui se tenait Federigo Centurione, qu’il avait à peine entrevu depuis
leur départ de Chio. Le négociant prenait ses repas à part et, le reste du
temps, se tenait sur le gaillard d’arrière, contemplant l’horizon ou échangeant
quelques mots avec le capitaine. Pour l’heure, il tendait à son commis un
gobelet de vin :
— Bois, cela te requinquera. Te voilà tiré d’affaire.
Quand on t’a remonté de la cale, j’ai bien cru que tu étais mort. Heureusement,
tu respirais encore et j’ai ordonné qu’on te soigne.
— Je ne sais comment vous remercier. Je ne mérite pas
un tel traitement.
— Je t’ai bien observé à terre et durant le voyage.
Pour être franc, j’étais furieux que le capitaine t’ait embauché alors que tu
n’as aucune expérience de la mer. Ne mens pas. Pendant trois ans, tu t’es
contenté de naviguer entre Savone et la Corse après avoir quitté l’atelier de
ton père où tu cardais la laine. Il t’a jeté dehors car il ne voulait pas
nourrir un fainéant.
Le blessé esquissa un geste de dénégation. Il se souvenait
encore de la colère de son père quand il avait appris, à son retour d’un voyage
à Salerne, que son aîné n’était pas reparu depuis une huitaine de jours. Son
travail à l’atelier l’ennuyait et il avait passé ses journées dans les tavernes
du port à écouter les vantardises des marins et à leur proposer en vain ses
services. Il était déjà trop vieux pour être engagé comme mousse. Domenico
l’avait retrouvé et traîné jusqu’à sa boutique où il l’avait rossé d’importance
avant de lui interdire de reparaître devant lui.
Sa mère, Suzanna, s’était arrangée pour lui trouver un
logis, une soupente sombre, chez l’une de ses parentes. Au moins était-il
assuré d’avoir un abri et, de temps à autre, une bonne soupe ou un quignon de
pain. À force de rôder sur le port où il aidait à décharger les caraques et les
barques, le jeune homme avait fini par se faire engager à bord du Santo
Pietro qui faisait la navette entre Savone et Bastia ou, quand la mer était
trop forte, se livrait au cabotage le long de la côte ligure. À plusieurs
reprises,
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