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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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et les lumières l’éblouissaient, mais plus encore l’éloquence
grandiose des deux tribuns qui se relayaient pour exhorter la foule.
    Colas se
rapprochait du premier rang, au milieu du tumulte qui l’entourait : des
fils comme lui qui essayaient d’escalader l’estrade tant l’escalier était
encombré de volontaires prêts à signer et de pères s’interposant en catimini
(la dissuasion au grand jour risquait de conduire à l’échafaud, les pères
n’oubliaient jamais ça). Il y avait dans la pénombre des torches et parmi les
chants révolutionnaires, des luttes à mains ouvertes haineuses, presque, alors
que ce matin à l’aube les combattants s’étaient levés ensemble dans la même
maison et s’étaient tendrement embrassés.
    Colas fut
hissé sur l’estrade par trois gaillards plus pressés que lui mais qui ne
voulaient pas usurper sa place.
    Il se
trouva devant un sergent à moustaches qui le toisa en faisant la grimace.
    — Quel
âge as-tu ?
    — Seize
ans ! dit Colas qui n’en avait que quinze.
    Il avait
vu devant lui un jouvenceau couvert de boutons d’acné qui en avait annoncé
quatorze et qu’on avait rudement refoulé.
    — Tu
veux t’engager ?
    — Oui.
    — C’est
pour cinq ans !
    — Oui.
    — Comment
t’appelles-tu ?
    — Colas
Romain.
    — Signe
ici !
    — Je
ne sais pas écrire !
    — Mets
une croix.
    Déjà les
trois impatients bousculaient le garçon, le poussaient vers la sortie. L’un
d’eux lui fit même cette plaisanterie :
    — Lève-toi
de là que je m’y mette !
    Colas se
tira comme il put de la foule. Il était étourdi par l’acte qu’il venait
d’accomplir.
    — Cinq
ans ! se dit-il à haute voix.
    Il se
souvint de Sensitive et du carrosse. Pourvu qu’on ne l’ait pas pillé ! Il
se hâta vers le tournant de l’allée où il l’avait laissé. Les percherons et la
voiture étaient toujours là. Du fond du coffre, Colas tira les deux sacs d’or.
Lourdement chargé, il s’avança vers la balustrade où la silhouette de Sensitive
se détachait sur les éclats de lumière qui fulguraient sous les frondaisons des
arbres. Il tremblait de tous ses membres, encore électrisé par les paroles du
rhéteur.
    — Je
me suis engagé ! dit-il tête basse.
    — Tu
t’es engagé à quoi ? dit Sensitive sans comprendre.
    Il déposa
les deux sacs d’or devant elle.
    — Dites-moi
où je dois les porter.
    — Mais
à quoi t’es-tu engagé ? dit-elle alarmée.
    Elle lui
prit les mains et le regarda dans les yeux.
    — Dans
l’armée républicaine, dit Colas. Pour cinq ans. Je pars tout à l’heure.
    — Viens !
dit Sensitive.
    Elle
l’entraîna toujours chargé des sacs d’or vers l’entrée d’apparat aux vitres
crevées où les cinq marches de marbre blanc étaient maintenant transformées en
praticable pour faciliter l’accès aux chevaux.
    Les
portes étaient entrouvertes. Des détritus et des gravats en obstruaient la
base. La lune éclatante qui illuminait toute la façade laissait dans l’ombre
les blessures que l’édifice avait subies. À la lueur du flambeau que Sensitive
alluma, le grand hall aux colonnes apparut apparemment intact mais de la paille
de litière était répandue partout. En travers de la porte du grand salon, on avait
dressé un râtelier de fortune dont deux chevaux tranquilles étaient en train de
tirer le foin.
    L’âme du
palefrenier se réveilla chez Colas. Les chevaux c’était sacré et ils devaient
être fatigués.
    — Si
vous permettez, madame, j’irai dételer les bêtes. Il y a de la place à ces
râteliers et elles doivent être fourbues.
    Sensitive
lui fit un signe d’acquiescement et se laissa aller sur un tas de foin. Elle
aussi était fourbue.
    Elle
n’avait pas encore assimilé l’annonce que Colas venait de lui faire. Elle regardait
fixement les sacs d’or déposés à ses pieds et qui apparemment ne servaient à
rien pour conforter le désordre de sa pensée. Le désordre… c’était bien cela
que confirmait l’aspect du château : les vitres brisées dont les débris
faisaient une couronne autour des façades ; la paille souillée sur
l’escalier de marbre où du crottin encore intact ponctuait les marches. Les
colonnes de l’antichambre dans le foin jusqu’à mi-hauteur. L’escalier, le grand
escalier lui-même où enfant, poussée par ses frères, elle avait dû si souvent
se retenir à la balustrade pour ne pas s’abîmer sur les marches, le grand
escalier

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