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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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sergents essayaient de rassembler en troupe cohérente,
à coups d’ordres contradictoires, les quelque quatre-vingts Manarains qu’on
avait réussi à arracher à leurs familles. Colas les rejoignit à la hâte. Tant
bien que mal il se faufila dans la troupe.
    Le jour naissait sur les grands arbres et sur les montagnes au loin qui
flamboyaient au soleil levant. La troupe hétéroclite s’ébranlait en chantant.
Ils étaient déjà martiaux. Ils marchaient au pas instinctivement, au rythme
impitoyable des chants du départ.
     
    Sensitive
s’était éveillée au bruit des tambours battants. Elle se précipita vers le
grand pré où la chétive colonne toute grise dans le crépuscule du matin
s’éloignait pour toujours. Elle courut vers elle en criant :
« Colas » mais elle trébuchait parmi les mottes d’un labour ancien et
sa robe mal taillée la gênait pour courir.
    Elle
revint vers le château, découragée. L’esplanade du pré était maintenant vide.
Le peuple souverain courbant l’échine devant le fait accompli s’était retiré
dans ses maisons pour y méditer sur le mot « patriote ». L’équipe
expérimentée qui avait dressé l’estrade était en train de la démonter. Les deux
commissaires de la République s’entretenaient avec calme et s’inclinaient
tendrement vers le carrosse à la portière ouverte. Sensitive s’approcha de la
voiture pour voir ce spectacle attendrissant : madame Robespierre Jeune
allaitait à l’aide d’un biberon l’enfançon qu’elle tenait dans ses bras. Elle
avait peu de lait en ses seins menus et la vache arrimée au carrosse y
suppléait. Son mari était souriant, penché vers son épouse avec son extravagant
chapeau à épouvanter la volaille. Son collègue Ricord lui donnait la réplique,
coiffé de la même manière. Ils auraient paru ridicules s’ils n’avaient pas
véhiculé la Terreur par toute leur personne. Arriva à bride abattue un cavalier
qui leur lança de loin :
    — Fuyez !
Les fédéralistes sont à vos trousses. Nous allons les retarder mais nous ne
sommes pas assez nombreux pour les arrêter !
    C’était
l’émissaire du conseil de Forcalquier qui les avertissait ainsi. En un clin
d’œil la place fut vide de chevaux, de carrosse et des commissaires de la
République. Tout le monde fuyait vers Saint-Étienne-les-Orgues et la montagne
de Lure.
    Sensitive
se trouva seule, les pieds dans l’humide et transie de froid malgré l’été, au
milieu de cette plaine qui recouvrait l’emplacement d’un lac, toujours présent
sous la brume impalpable qui chaque matin l’ensevelissait comme un fantôme. À
l’hôtel-Dieu une grêle horloge qui sonnait même les quarts se mit en branle en
cadence. Il était sept heures du matin.
    La masse
du château flottait dans la brume et le silence qui l’encerclait était plus
tragique qu’une canonnade. Lentement et ne songeant à rien, Sensitive revint
par la pièce d’eau vers l’entrée principale. L’arbre gigantesque percé de
lambeaux de brouillard où commençait à jouer un soleil malade, participait au
silence et au malheur presque palpable où baignaient les hommes. Il n’y avait
de bon et de noble que ce grand vestibule à colonnes où l’odeur des chevaux
était source de vie. Les deux hongres blancs qui l’occupaient y hennissaient de
temps à autre contre les quatre percherons dont tout à l’heure Colas leur avait
imposé la compagnie. Au pied du grand escalier, les deux sacs d’or s’épaulaient
l’un l’autre au ras du sol. Sensitive contempla le tas de foin qui encombrait
les marches. Elle se souvint que les fenêtres de l’étage n’étaient pas brisées.
Elle avait envie de revoir sa chambre d’enfant, là où elle avait toujours
trouvé refuge contre ses frères belliqueux.
    Avec
peine et y glissant sans cesse, elle entreprit de gravir le tas de foin. La
balustrade à grandes fleurs de fer forgé, où un artisan d’autrefois avait mis
toute sa science, lui fut d’un grand secours.
    L’étage
était apparemment intact. Le peuple ivre de vengeance avait seulement pissé sur
les tapisseries d’Aubusson et il avait déféqué sur le carrelage de tommettes
rouges du long corridor, mais c’était sec. Les colombins arrogants dont on
avait voulu imprimer le mépris au cœur de cette demeure tombaient en poussière
et se désagrégeaient. Il n’était même plus nécessaire d’éviter de marcher
dedans.
    Les
chambres s’alignaient avec leurs portes

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