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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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participe.
    L’abbesse
le vit venir vers elle avec le plus grand calme. Que craignait-elle ? Le
Christ était dans son cœur et elle s’en remettait à lui. Elle regardait dans
les yeux ce moine qui lui aussi avait le Christ dans son cœur et dont la robe
sous la cotte de mailles était barrée du même signe qui les faisait frère et
sœur elle et lui.
    « Le
bailli, se dit-elle, a voulu s’assurer que seule la tombe nous scellerait les
lèvres. »
    Elle
contemplait avec curiosité mais sans sourire (on n’a pas le droit de railler la
mort) cet homme qui fonçait sur elle à travers le grand espace ouvert entre la
porte et la table où elle se retranchait.
    Soudain
l’impassible masque du donat fut troublé par une onde d’étonnement qui ressuscitait
chez lui le visage de sa jeunesse. Il arrivait constamment ainsi qu’un reître
qui s’apprêtait à égorger sa victime se sentît soudain le bras faible d’un
enfant et qu’un bubon de peste entre langue et luette lui coupât net l’envie de
tuer. Celui-ci heurta de la tête le rude chêne de la table, son épée dont il
fut désarmé s’en alla tintinnabuler contre le parquet. Il mourut tout à coup.
    « En
voici un, se dit la prieure, qui paraîtra blanc comme le lis des champs devant
le Père et à qui pourtant il n’aura manqué que quelques secondes pour finir en
enfer. »
    Elle
ignorait le carnage que l’assassin avait perpétré dans la crypte.
    Elle fit
néanmoins en direction du corps sans vie le signe de la rédemption.
    Tout
s’était tu. On entendait seulement encore au loin les cris de douleur des
nonnes qui fuyaient n’importe où. Même la cloche serait impuissante à les
rassembler. La prieure prit une large respiration. Elle avait le caractère que
lui imposait son visage carré, son âme comme ses traits était taillée à coups
de serpe. Une grande interrogation végétait en elle, lui interdisant de se
soumettre au serment de garder le silence qui lui avait été imposé. Quel était
le mystère que cachait la toile bleue pour que le seigneur de Manosque ait mis
tant de hargne à en préserver le secret ?
    La
prieure décida qu’il lui fallait savoir. Elle se mit en marche vers la crypte à
travers le souterrain. À peine si maintenant un ou deux flambeaux sur le point
de s’éteindre, les autres avaient été piétinés, éclairaient encore la scène
hallucinante de tous ces corps sans vie, les uns frappés de coups de lance et
de coups d’épée, les autres terrassés par l’épidémie.
    Au milieu
de ces gisantes en désordre qui esquissaient encore un geste de vie (l’une
était restée accrochée aux cordages qu’elle voulait dénouer), le chariot qui
contenait le secret des frères de Jérusalem était debout, bien au milieu, comme
si commandant au carnage il l’avait aussi perpétré.
    La
prieure alla s’assurer d’abord que la herse qui défendait la crypte avait bien
été abaissée ; ensuite elle se tourna vers le chariot. Elle toisa
littéralement la forme empaquetée que celui-ci contenait.
    — Ça
doit être ça Belzébuth, prononça-t-elle.
    Elle ne
savait pas, elle ne s’était jamais demandé à quoi pouvait bien ressembler l’ange
déchu qu’elle venait de nommer et qui commandait l’enfer. Sans doute, pour la
première fois, allait-elle découvrir son visage.
    Une
soudaine raideur du cou (l’impossibilité de le mouvoir dans un sens ou dans
l’autre) lui fit porter vivement la main à l’épaule.
    Une étrange excroissance paralysait son bras. Elle tomba parmi ses
sœurs, noire, anonyme, seulement désignée par la croix d’or à son cou sur quoi
ses doigts s’étaient machinalement refermés.
     
    Dehors,
sur le pays de Forcalquier, maintenant délivrée de la lune mais habitée
d’étoiles, la nuit était peuplée d’humains par paquets que signalaient des
flambeaux. Ils cheminaient en hâte vers les sommets, ayant auguré que l’air qui
y régnait les protégerait de la contagion.
    C’étaient
des processions qui escaladaient les pentes de Lure venant de tous les villages
atteints par la peste. Elles étaient visibles sur toute l’étendue de la
montagne, sur toute sa hauteur. Certaines de ces processions cheminaient vers
les Saint-Roch de campagne dont les chapelles n’étaient même pas consacrées et
que l’on construisait encore. C’était le grand instinct de l’humanité, laquelle
lorsqu’elle ne sait plus à quel saint se vouer, croit monter vers Dieu en
gravissant les

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