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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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puits. Ils étaient quelques trublions qui n’arrêtaient pas de
souffler sur la haine. Ils s’en allaient criant par pays : « Tous
ceux qui ne sont pas avec nous, sont contre nous ! » Et le peuple, au
lieu de les traiter en fols, leur emboîtait allègrement le pas. On ne
s’apercevait même pas que dans ces holocaustes purificateurs on précipitait des
moribonds qui couvaient déjà des chambourches sous les aisselles.
    De même
les tortionnaires, à peine ayant basculé les martyrs par-dessus les margelles,
y trébuchaient à leur tour, pris de malaise. Il mourut alors autant de bandits
que d’honnêtes gens, de sorte que la justice de Dieu ne prêtât à nulle
confusion. Les pillards qui se jetèrent sur les biens des morts pourrirent en
grand nombre sur l’or de leurs rapines.
    C’était
une giboulée de morts sous laquelle chacun faisait acte de contrition. Les
clercs chargés des obituaires en avaient des crampes aux doigts, à force
d’inscrire à toute vitesse le nom et la qualité des trépassés.
    Tel qui
fut dolent la veille, le lendemain il était défunt. On entendait partout, dès
que le silence du soir s’établissait, un étrange chuchotis comme rainettes qui
se répondent d’un étang à l’autre. C’étaient les bubons sur les dépouilles des
mourants qui crevaient encore à la surface des corps avec ce bruit discret.
    Une noce
entière mourut à moitié. Elle sortait d’une église, joyeuse et opulente par
tant de falbalas, précédée de clarines, de galoubets et de tambourins. Le marié
en réchappa avec quelques commères et quelques compères mais le corps blanc de
l’épousée ne passa pas le parvis. Les trois sueurs la saisirent parmi les
seringas et les tubéreuses d’un énorme bouquet. On la pleura avec des cris
discordants où dominait l’admiration car la mort était passée si vite qu’elle
n’avait pas eu le temps d’effacer la beauté.
    Longtemps,
la vie sembla tellement précaire que, faits de quatre planches, les berceaux
furent semblables à des cercueils. Au-dessus des parents foudroyés par le mal,
vagissaient dans leurs nacelles des nourrissons qui allaient bientôt mourir de
faim. Leurs mères à leurs pieds avaient raidi leurs bras tendus vers l’enfançon
en un dernier geste protecteur.
    Le cheval
en son errance descendit le col de la Mort-d’Imbert, traversa le ruisseau
Gaudissart, traversa le gué du Largue. Toujours broutant au gré de son caprice
et remontant vers Mane et le plateau d’Haurifeuille, il se trouva sous la tour
de Porchères.
    C’était,
au flanc des badassières à l’infini, une construction encore toute neuve dont
ni le soleil ni le siècle écoulé depuis qu’on l’avait bâtie n’avaient encore
terni l’éclatante blancheur.
    Ce donjon
énigmatique et sans utilité ne contenait qu’un seul habitant : c’était un
tombeau en pierre de Mane, neuf lui aussi bien que lui aussi presque
centenaire. Ce tombeau contenait la dépouille de l’ancêtre des Baudoin de
Provenchères, lequel avait fui Corcyre après la chute du royaume franc de
Jérusalem. Il était né en Terre sainte et, contraint de regagner celle de ses
ancêtres, il ne s’était jamais consolé d’avoir perdu le lieu où sa jeunesse
avait fleuri.
    Il avait
rapporté un sac de terre du sol sacré. Pour préserver cette offrande mystique,
d’abord déposée au milieu de la lande, parmi des prairies de poivre d’âne et de
carlines amères, il avait fait élever cette tour qui ne servait à rien aux yeux
du commun des mortels mais qui parlait à son âme chaque fois que contemplant la
splendeur du pays de Forcalquier, du haut de la terrasse qui coiffait la tour,
il pouvait imaginer au-delà, les yeux fixés sur son orient, le tombeau de Dieu
qu’il avait recréé chez lui, à son image.
    Le cheval
brouta les orties autour de ce donjon. Il s’avança plus loin. Un jardin de
rosiers défleuris masquait une demeure que barrait devant elle un bassin à deux
fontaines où un jet d’eau à petit bruit chuchotait sur la verdure d’un courtil.
    Deux
cadavres enlacés étroitement qui avaient déjà perdu leurs beaux contours de
corps humains et n’avaient plus d’yeux pour se contempler l’un l’autre (les
corneilles avaient déjà gobé ces mets succulents), exprimaient pourtant, dans
leur affreuse boursouflure, tout l’amour encore qu’ils s’étaient porté.
    Le cheval
les contourna prudemment. Deux humains même morts sont encore pour un cheval
objet

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