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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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peintre tira un godet. Une couleur jaune
comme de l’or liquide rutila au bout du pinceau. Le Poverello peignit ce qu’il
put de ce pied à sabot qui dépassait et de la chape bleue qui recouvrait le
reste.
    Il était
temps. Les sœurs gazouillantes venaient reprendre leurs places sous les harnais
qui les enchaînaient. Lune d’elles en premier plan, la torche au poing, était
l’image d’une telle beauté que Lombroso voulut en faire une ultime esquisse
sous la coiffe. Il exprima cette beauté et les figures communes de ses sœurs
qui la rehaussaient avec l’amour que le génie venait de lui accorder à
l’instant. Elle demeura inscrite sur sa rétine jusqu’à la mort. Poverello
écarta son cheval. Il se tourna vers son mentor. Celui-ci avait vidé les
étriers. Il se tordait sur le sol à côté du gonfanon atterré qu’il souillait de
ses vomissures.
    Les sœurs
qui reprenaient leurs flambeaux ne virent même pas, dans le contre-jour, le
cavalier qui avait mordu la poussière ni le peintre qui tenait encore en main
le pinceau dégouttant d’or liquide.
    Deux
d’entre elles pourtant trébuchèrent, tentèrent, titubant et tendant les bras,
de rejoindre le groupe mais ce fut en vain. Dans la corolle noire de leur robe
soudain étalée, le nez parmi les touffes sèches du pébré d’aï et du serpolet
sec qui attendaient le printemps pour fleurir mais gardaient leur parfum, elles
expirèrent dans la bonne odeur de ces plantes éternelles.
    Poverello
hésitait. Les sœurs reprenaient le licol et de plus belle éclatait leur Ave
Maria. Elles n’avaient même pas jeté un coup d’œil derrière elles pour secourir
leurs compagnes. Elles savaient ce que c’était que la peste et en outre elles
avaient entièrement confiance dans le Seigneur.
    Poverello
Lombroso considéra le gonfalonier mort à ses pieds.
    — Si
Gonzague me savait libre, exprima-t-il à voix haute, il en mourrait
d’inquiétude !
    Il
ricana. Il songeait que le potentat de Mantoue devait se ronger les ongles à
l’idée qu’il n’accéderait jamais à l’immortalité malgré ses prouesses
militaires et ses succès d’alcôve ; alors que lui, le Poverello, il y
atteindrait sans peine, ne serait-ce que par ce plafond de San Andréa et bien
que celui-ci fut jusqu’à présent amputé de son Enfer. Il se promit d’installer
au beau milieu le portrait de la nonne en gloire qu’il avait aimée en un
instant pour toujours.
    Ragaillardi
par cette idée, le Poverello enroula autour de sa hampe le symbole de Mantoue
et l’arrima au cheval du mort. Cette monture lui parut plus fraîche que la
sienne. En outre, elle était harnachée de manière à garder tout le matériel du
peintre dans ses fontes.
    Les sœurs
étaient déjà loin en bas dans les lacets du col. Les flambeaux qui dansaient
autour de leur marche donnaient à leur théorie un air de fête.
    Poverello
huma l’air de la nuit avec une sensuelle gourmandise. Tous ces morts de la
peste autour de lui l’exaltaient énormément. Il se croyait invulnérable. En
outre, habité entièrement par le plafond de San Andréa, lequel était déjà
terminé dans sa tête et qu’il ne restait plus qu’à exécuter, il ne concevait
pas que la protection divine pût lui manquer puisque c’était à la gloire de
Dieu qu’il travaillait.
    La peste
cependant n’avait été clémente avec lui que par distraction. Elle le rattrapa
avant Passaïre sur le pont qui franchissait le ruisseau Gaudissart. C’est là
qu’une étrange sensation envahit le peintre : l’impression que le monde se
retirait de lui et qu’une infinie distance et qu’un temps infini se creusaient
entre la nuit et sa personne. Il se sentit faible, sans muscles, la peur
blottie au creux de son être qui n’était plus que celui d’un enfant craintif.
Tous les souvenirs voluptueux qui faisaient sa raison d’exister soudain
s’effacèrent. Il se demanda une seconde ce qui lui faisait ainsi écarter les
bras du corps sans raison. Il porta vivement une main à l’aisselle, à gauche,
puis à droite. Les chambourches pesèrent sur ses paumes ouvertes comme grappes
de raisin. Les bubons éclatèrent sous les aisselles comme fleurs d’amandier
huchant du bourgeon.
    Le cheval
immobile demeura quelques secondes à attendre un ordre qui ne venait pas car
c’était maintenant une volonté inerte et molle qui occupait les étriers et les
vida bientôt. Le Poverello tomba sur le corps d’une nonne. Ils

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