Claude, empereur malgré lui
d’un quart de mille de ma maison, sur le Palatin, étaient installés au moins quinze – que dis-je ? – vingt-cinq débits de boisson, et maintenant il n’y en a plus que trois ou quatre. Et qui plus est, ils servaient du bon vin. Il y avait le Flacon et le Bacchus, le Vétéran et les Deux Frères, la Gloire d’Agrippa et le Cygne. (Le Cygne est encore ouvert, mais les autres ont disparu – le meilleur vin venait des Deux Frères ), et encore le Philémon et Baucis – lui aussi supprimé, un lieu pourtant bien agréable. Et puis il y avait l’If – j’aimais bien le vieil If…
Comme ils se moquaient de moi ! Tous possédaient leur propre cave et n’avaient sans doute jamais mis les pieds de leur vie chez un marchand de vin pour y acheter à boire.
— Peut-être vous rappelez-vous qu’il y a cinq ans, grâce aux caprices de mon neveu, le défunt empereur, j’avais été ruiné et réduit à vivre de la charité de mes amis – pas un seul d’entre vous, soit dit en passant – , de vrais amis, parmi lesquels quelques affranchis reconnaissants, une jeune prostituée et un ou deux esclaves. Je fréquentais ces tavernes pour y acheter du vin, parce que ma cave, tout comme ma maison, dont je ne pouvais occuper que quelques pièces, allait être mise en vente aux enchères. Ainsi donc, je sais de quoi je parle. Et j’espère que s’il arrive à l’un d’entre vous d’être la victime des caprices d’un empereur, et de se trouver dans la misère, il se rappellera ce débat et regrettera que vous n’ayez pas voté un crédit pour l’approvisionnement nécessaire de la cité en viande de boucherie et pour le maintien de ces honnêtes débits de boisson que sont le vieux Cygne, la Couronne et le Chien Noir, ouverts encore, mais pour combien de temps si vous ne faites rien pour eux ? Au diable l’eau froide et la bouillie de légumes secs ! Et si je vois l’ombre d’un sourire sur vos visages, messieurs, avant la fin de mon discours – ou après – je le prendrai comme une offense personnelle.
J’étais vraiment irrité, je tremblais de colère et je vis la crainte de la mort les envahir peu à peu. Ils votèrent ma motion à l’unanimité.
Ce succès me procura un plaisir passager, mais ensuite, j’en éprouvai une grande honte et ne fis qu’empirer les choses en m’excusant auprès d’eux de mon mouvement d’humeur. Ils me jugèrent, du coup, faible et timoré. Je tiens maintenant à bien préciser que je ne me suis pas servi de mon pouvoir impérial, contrairement à tous mes principes les plus chers d’égalité, de justice et de dignité humaine, pour intimider et malmener le Sénat.
Je m’étais senti outragé par Asiaticus et tous ces hommes riches et sans cœur qui traînaient leurs concitoyens dans la boue. Je n’avais pas formulé des menaces, seulement des remontrances. Mais plus tard, mes propos furent utilisés contre moi par mes ennemis, malgré mes excuses et malgré la lettre suivante que j’avais rédigée et fait circuler dans la cité :
Tibère Claude César Auguste Germanicus, Empereur, Grand Pontife, Protecteur du Peuple, Consul pour la troisième fois, au Sénat et au Peuple de Rome, salut.
J’ai conscience chez moi d’un défaut qui me peine peut - être plus que vous, car on s’afflige davantage du travers dont on est responsable que de celui qui vient d’une autre source, surtout s’il s’agit d’une source trop puissante pour être endiguée comme la foudre, la maladie, la grêle ou la sévérité d’un juge : je fais allusion à certains accès de colère auxquels je suis de plus en plus sujet depuis que j’ai commencé d’assumer la charge du gouvernement que vous m’avez imposée contre mon gré. Par exemple, l’autre jour, j’ai fait savoir aux citoyens d’Ostie que j’allais inspecter les travaux en cours d’exécution de leur nouveau port, que je descendrais le Tibre en bateau, qu’ils devaient s’attendre à me voir arriver vers midi et que, s’ils avaient à se plaindre de la conduite de mon armée d’ouvriers ou s’ils avaient des requêtes à me présenter, je serais prêt à les écouter ; mais comme je parvenais à Ostie, aucun bateau n’est venu à ma rencontre, pas un édile de la ville ne m’attendait sur le débarcadère. Furieux, j’ai envoyé chercher les principaux notables, parmi lesquels le premier magistrat et le capitaine du port ; et je me suis adressé
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