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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Annie François
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pétrit, pose ses larges mains autour
de mon cou. Je crie sans espoir : les jeunes couples dont je garde parfois
les enfants, la vieille dame irascible dont je monte le seau à charbon ne
broncheront pas et aucun n’a le téléphone. Mon esprit est tétanisé de peur, de
rage et d’impuissance. Soudain, je pense à la seule arme que je possède, que je
tiens entre deux doigts : je plante férocement ma cigarette dans le cou de
mon agresseur. Il hurle, me lâche, se recroqueville dans un coin. Je vole dans
l’escalier en criant « Chéri, chéri ! » pour faire croire qu’un
autre colosse m’attend. J’ouvre ma porte, bloque la poignée avec une chaise, pousse
la lourde table de la cuisine tout en sachant que rien ne saurait résister, sinon
à la détermination de mon agresseur, du moins à ma panique. Il n’y a ni verrou
à ma porte, ni volets à mes fenêtres, ni limite à mon imagination. Je reste
terrorisée, arc-boutée à la table, épiant le moindre bruit dans l’escalier, sur
le toit, le long des gouttières. Les heures sonnent à l’église d’Alésia, l’aube
paraît.
    Ma peur s’estompe avec le jour. J’éprouve même une sorte de
remords pour ma sauvagerie. Mais je sais que, désormais, j’aurai toujours une
cigarette allumée à la main.

Écran de fumée
    Quelques mois plus tard, nous fûmes, Nono, Neunœil et moi, dite
Nini, à Belfast pour soutenir la juste lutte des catholiques irlandais. Nul
alors ne parlait fluidement l’anglais, encore moins l’irlandais, encore moins l’irlandais
urbain du Nord. C’est Tantine qui aurait été surprise de s’entendre proposer «  heu
cop auf’ti woui mauk ». Le malentendu atteignait de tels sommets que
Neunœil et Nono jurèrent, le premier jour, avoir assisté à une réunion
politique de la plus haute importance alors qu’il s’agissait d’une empoignade à
propos du dernier match de foot.
    Nos hôtes nous conduisirent ensuite à notre lieu d’hébergement :
une école maternelle désaffectée pendant les vacances, équipée de
micro-cabinets et de mini-lavabos. Il fallait s’agenouiller pour se laver. J’y
vis, à juste raison, une métaphore de notre position de pseudo-observateurs.
    Les salles de classe avaient été reconverties en dortoirs. Les
nuits étaient chastes et intenses. Peter MacK. me récitait de longs poèmes
exaltés en dessinant du bout de sa cigarette d’amples arabesques de fureur. Nono
et Neunœil ron-flotaient.
    Quelques jours plus tard, au cours d’une nouvelle réunion, nos
hôtes suggérèrent que Nono et Neunœil aillent à Derry tandis que je resterais à
Belfast pour rencontrer un groupe féministe (ciel !). C’est alors que Nono
me mit en garde contre la possible venue d’un vibrion trotskiste qui le tarabustait.
J’enregistrai. Dans le même temps, mon nez infaillible repéra l’odeur d’un
début de feu. J’alertai mes compagnons, en vain. J’inspectai les cendriers
pleins, noyai les mégots, lavai les cendriers (le vrai travail des militantes
de l’époque avec la dactylographie des tracts). L’air s’alourdissait. Je
reniflai dans tous les coins et mis enfin mon nez à la fenêtre : un
cumulo-nimbus traversé de flammes sortait du cinéma voisin. Mon branle-bas d’évacuation
bilingue fut fort bien compris : nous dégringolâmes les escaliers étroits,
puis les remontâmes pour ramasser de précieux documents (peut-être les scores, depuis
1945, de toutes les équipes européennes de foot) et déboulâmes sur le trottoir.
Les pompiers n’étaient pas encore arrivés, mais un tank anglais chenillait déjà
dans la rue, harcelé par des lardons qui mettaient des manches à balai dans ses
rouages, vision immortalisée par un cliché de Neunœil. N’empêche, mon nez de
fumeuse nous avait évité l’asphyxie.
    Nous apprîmes très vite que le feu avait été mis au cinéma
pour attirer le chef de la police sur les lieux où il devait se faire
proprement déquiller. Ce dernier, sans doute protégé par sainte Guinness qu’il
honorait dans quelque pub, ne parut et donc ne disparut pas.

Un crâne rasé sur le sol irlandais
    De la foule des badauds et des enfants goguenards jaillit
une créature que j’identifiai aussitôt comme le « vibrion trotskiste ».
Je me détournai. Et c’est donc dans mon dos que j’entendis cris de joie, accolades,
congratulations : le traître Nono faisait fête au gêneur.
    « Annie, je te présente François (air outragé de Nini).
On l’a

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