Clopin-clopant
filtre. Aguerri, il s’en tira fort bien. La
Coridrane fut bientôt retirée du marché (comme l’élixir parégorique, ce qui mit
ma mère dans une fureur alexandrine contre les drogués qui la privaient de sa
panacée).
Héroïne, cocaïne me paraissaient très aléatoires quant à la
qualité, d’un accès trop sulfureux, d’un rituel encore alourdi par la
multiplication des accessoires, d’une hygiène douteuse et d’un prix qui
dépassait de beaucoup mes moyens. Ma réaction de petite ménagère vétilleuse s’augmentait
de la certitude que, vu mon appétence pour la cigarette, mes risques d’accoutumance
au reste ne laissaient aucun doute.
Tout cela n’allait pas sans conflits. Un jour, agacé de me
voir à ce point crispée sur la drogue, Nono me signifia que je moralisais sans
savoir de quoi il retournait. « On peut aller au cirque sans pratiquer la
haute voltige… – Arrête tes salades, tu n’en mourras pas et tu sauras au moins
de quoi tu parles. » Après des heures d’arguties, je cédai. Nono me fit
une démonstration. Il sortit son petit sachet, style permanganate (très rassurant),
répandit une partie du contenu sur un miroir, aligna la poudre avec un ticket
de métro (moins alarmant qu’une lame de rasoir), etc. : « Maintenant,
tu renifles. » Je pensai « Oui, mon capitaine » et éclatai de
rire. Une petite fortune se volatilisa. « Bon, on recommence. – Tu rigoles,
au prix où c’est (mon côté auverpin). – Ne t’inquiète pas de ça. » On
recommença. Je me tins à carreau et inspirai réglementairement. Silence. Long
silence. « Alors ? – Rien. – Tu es sûre ? – Rien de rien. – Tu
es psychorigide. » Cette psycho raideur m’évita hépatite C, overdose, emprisonnement
qui frappaient çà et là. Au regard du bilan, les méfaits de ma drogue légale me
semblaient bénins.
H comme analgésique
Trente ans plus tard, je fis à mes dépens la démonstration quasi
scientifique qu’il s’agissait moins de psycho raideur que d’insensibilité
physique. Ébranlée par des effets pré et postopératoires et autres tortures, liés
à une « maladie chronique », j’épuisai bientôt les bienfaits du
simple Dafalgan codéiné, qui unit paracétamol et dérivé de morphine (ma douleur
est une Mobylette qui marche au mélange deux temps). Arrivée à seize unités par
jour, je consultai. On me prescrivit des comprimés de morphine pure. Sans effet.
Au centre antidouleur, l’anesthésiste m’expliqua que la morphine n’agit qu’à
dose exacte, en deçà de laquelle elle est inopérante. Il doubla la dose. Sans
résultat. Je passai au patch, qui diffuse mieux le produit. Rien, sinon une allergie
à la matière adhérente. Je renonçai à la morphine pure sous toutes ses formes
au profit de mon mélange deux temps. Tant bien que mal. Plutôt mal.
Une récidive imposa une nouvelle opération. La routine, quoi.
À cela près que je me réveillai dans des douleurs indescriptibles. À travers
une bouillie de souffrance, je voyais les infirmières s’époumoner (les malades
sont réputés sourds) : on me faisait une piqûre de morphine. Elles en
épiaient l’effet. Rien. Mon visage ne se détendait pas ; mon corps ne se
dénouait pas. J’en avais de la peine pour elles. Malgré une rallonge dans mes
perfusions, je passai une nuit d’enfer, inondée de sueur et de larmes.
Étant susceptible de récidiver, je me suis juré cette
nuit-là de chercher, avec l’anesthésiste, un cocktail antalgique efficace. Le
problème est qu’on ne peut pas mesurer l’effet d’un analgésique quand on n’a
plus mal. N’empêche, il doit y avoir quelque chose. Il faut qu’il y ait quelque
chose. Un palliatif. Un palliatif bien avant la phase finale. La douleur aide à
mourir, mais inutile d’anticiper.
On progresse, d’ailleurs. Un jour, j’ironisai avec mon
médecin en disant que ce qui me fatiguait, dans sa chimiothérapie, c’était d’aller
fumer sur la terrasse attenante au parloir, désormais non-fumeurs.
« La nuit, éventuellement, fumez à la fenêtre du
parloir.
— Je le fais quand je suis trop crevée. D’ailleurs, ça
sent le pétard.
— Rien d’étonnant : on a découvert que ça
atténuait les nausées et parfois la douleur.
— Quelle déveine : je suis insensible au cannabis.
— Ça peut changer.
— Vous en prescrivez ?
— Pas encore. Mais ça peut changer aussi. Allez, à
demain. »
Ironie du sort. On ne peut plus
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