Clopin-clopant
– je porterais volontiers la bourka si ça me permettait de fumer
dessous.
Je ne peux pas ouvrir un livre – fût-ce d’éthologie (un de
mes sujets favoris) des babouins – sans tomber sur une allusion au tabac. Il
reste que c’est dans la littérature relative à la misère, les camps, la guerre,
la prison que les cigarettes sont les plus présentes tant il est vrai que,
« quand on fume, le fardeau est moins lourd ».
Néanmoins, je suis sans doute la seule lectrice d’Italo
Svevo à avoir splendidement ignoré un des objets principaux de La Conscience
de Zeno , à savoir les vains efforts du héros pour arrêter de fumer. Freudien !
Mais, dans un journal, pas une photo, pas un article ne m’échappe :
Jeanne Moreau, reçue à l’institut, demande à Cardin d’ajouter une poche à son
costume d’académicienne pour y mettre son paquet de cigarettes ; on craint
une éventuelle interdiction du livre du fils Feltrinelli intitulé Senior
Service (nom de ses cigarettes préférées) ; l’incendie du tunnel du
Mont-Blanc ne serait pas dû à un mégot happé par un radiateur de camion ; en
août 2001 Keith Jarrett s’est cru autorisé, lors d’un concert en plein air au
festival de La Roque-d’Anthéron, à interdire aux spectateurs de fumer. J’ai
tout un sottisier de ces histoires qui apportent un petit brin de fantaisie aux
accablants, irréfutables méfaits du tabac ou très réels accidents : ainsi
l’acteur Carette, qui mourut carbonisé sur son fauteuil roulant en voulant
allumer sa cigarette.
Encore un verre, une cigarette,
c’est la dernière et puis j’arrête
En matière de tabac, la règle du jeu du sevrage est une
grande illusion. Néanmoins, Carette, tu seras le seul à me convaincre d’arrêter
de fumer dès que j’aurai passé cette ultime phase de l’indépendance qui permet
de prendre, d’allumer et d’écraser une cigarette en toute possession de ses moyens.
Il faudra d’ailleurs essayer d’arrêter de boire, de fumer et
tout le bataclan avant d’être reléguée dans un hospice de vieillards où une
infirmière me tombera sur le paletot à la moindre infraction. C’est vrai que, faute
d’y voir bien, j’aurai du yaourt sur ma veste, je me serai tartiné le visage de
dentifrice et lavé les dents avec de la crème Nivea.
Néanmoins, tant que je serai encore en état de déserter ma
chambre, tant que j’aurai la force d’enfiler mes gros pieds tout gonflés dans
des tennis sans lacets, j’irai au bout du couloir, je pousserai la trop lourde
porte qui donnera sur une allée de graviers crissants et des parterres de
pétunias fripés, je tirerai sous l’auvent un siège de jardin en plastique, j’allumerai
une Gauloise et je fumerai, je fumerai, en attendant que tout s’arrête.
Paix à mes cendres
Si, par exception, on ne contrarie pas mes dernières
volontés, je veux des pleurs, des fleurs et des couronnes.
Et parce que j’ai passé tant de temps à cloper, vice qui
aura probablement eu ma peau, je veux partir en fumée.
Qu’on recueille les cendres mais qu’on évite de les mettre
dans l’urne en plastique fournie par les pompes doublement funèbres et qu’on
les disperse.
Mais pas n’importe où, ni n’importe comment.
En tout cas, pas en plein vent. Le vent tourne. L’idée d’envoyer
de la poudre aux yeux me déplaît.
Ni en plein vent, ni en pleine mer, où les cendres n’ont
rien à faire.
En pleine terre, les cendres. Surtout pas en surface : la
brise l’emporte, un chien pisse dessus. Il y a pire dans la mort, mais c’est
quand même sordide.
Donc, bien mêlées avec du terreau, entre les racines d’un
arbuste, de préférence une aubépine ou un églantier. Oui, un truc qui dure, qui
pique et qui sent bon. Surtout pas un bel arbre qui sera débité à la
tronçonneuse pour faire une armoire.
Un arbuste, de préférence dans un endroit avec vue. Encore
qu’un robuste églantier dans un moche terrain, ça structure le moche. Ça le
rend vivable. Ma vie aura parfois servi à ça. Autant que ma mort serve à ça
aussi.
Tout de même, je préférerais un bel endroit. Mais si c’est
pour être victime de la spéculation foncière et me retrouver mêlée aux gravats
d’une future piscine en forme de cœur, plutôt crever.
Dans ce nouvel épisode de l’autobiographie d’une pas
grand-chose, Annie François continue de se raconter par le biais d’éléments qu’elle
connaît bien : hier les livres, avec Bouquiner
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