Clopin-clopant
déjà rencontré aux Petits Chandeliers.
— Vraiment (in petto : aux Petits
Chandeliers, il s’agissait d’un grand frisé aux cheveux longs et non d’un type
au crâne rasé et au menton en galoche) !
— Heu ! à Londres, je suis allé chez le coiffeur
pour ne pas avoir l’air d’un gauchiste. Il m’a mis la boule à zéro pendant que
je lisais Le Monde.
— Il n’y a pas tant de mal à être gauchiste. Et
parfois mieux vaudrait être analphabète ! »
La nature humaine étant ce qu’elle est, ledit François – qui
évidemment n’était pas le vibrion trotskiste – préféra rester avec la houspilleuse
qu’avec ses copains de lycée. Bille en tête, il décida de visiter les quartiers
protestants. « Vous oubliez sans doute que nous sommes dans une ville en
guerre. – Allons, allons, la ville ça me connaît. » Tintin petit reporter
avait déjà frappé ! Bien sûr, nous nous fîmes arrêter illico par une
patrouille anglaise (ce qui valait toujours mieux qu’un groupe protestant). Nous
eûmes toutes les peines du monde à regagner notre quartier catholique sans
dommages ni soupçons. Je rapatriai l’irresponsable dans notre école déserte
avant l’extinction des feux. La nuit même, alors que Peter MacK. déclamait un
poème des plus impétueux, je vis François gigoter dans son lit de camp instable.
Je compris qu’il essayait de retirer discrètement son slip sous la couverture. Un
bon point pour lui. Ça changeait des coincés qui dormaient tout habillés et des
désinvoltes qui se déloquaient devant tout le monde.
Comme il n’y avait pas plus de groupe féministe à Belfast
que d’eau bénite dans la Guinness, nous décidâmes de rejoindre les autres à
Derry via Giants’ Causeway où François voulait faire une halte
géologique. J’y mis deux conditions : il m’aiderait à me laver les cheveux
dans les bébés lavabos et participerait à ma chasse aux cigarettes dans Belfast.
C’est ainsi que nous prîmes trois heures de retard sur notre programme.
Tranquillisée par ma réserve de clopes, c’est en pleine
possession de mes moyens que j’admirai la grandeur des lieux et l’audace de
François qui entreprit de plonger dans une eau à huit degrés en ce mois d’août.
Il ressortit vivant. Je détournai les yeux de sa nudité violette et grelottante,
de ses mains protégeant ses attributs probablement réduits à deux petits pois
et un cornichon.
En remontant vers la route, nous achetâmes à un marchand
ambulant, dans un cornet de journal, des algues au vinaigre. Un régal croquant
et légèrement visqueux.
La route du tabac
À Derry, on nous parqua, encore une fois, dans un dortoir de
fortune. Nono, prétextant quelque mauvaise fièvre, nous dépouilla de nos
couvertures. Chacun claqua des dents dans son coin en lui jetant des regards
courroucés. À l’aube, François prit une photo de l’opportuniste hypocondre :
certes, il avait une figure de gisant, mais bienheureux et rose, tandis que le
teint cireux, l’œil battu, le nez rouge, tout trahissait chez nous le rhume et
l’insomnie. Nono était donc très frais pour assister au meeting de Bernadette
Devlin, enceinte de douze mois, persuasive à souhait, sur son estrade de
bateleur.
François et moi, les seuls salariés du groupe, rentrâmes à
toute vibure à Paris, en stop, via Belfast, Stranraer, Londres et Dieppe.
D’où un nouvel approvisionnement en cigarettes assez problématique. Pour le
stop, chacun révéla sa nature. Je démarchai un Danois fumeur en décapotable et
François, un camionneur hollandais. En bon éclaireur, il préféra la sûreté du
routier aux possibles caprices du dandy. Je cédai. À tort. Notre chauffeur
étant des plus niais, François lui servit de secrétaire aux stations-service, puis
de navigateur. Non sans fourberie. C’est ainsi que le malheureux nous déposa
devant Victoria Station, sûr d’être à l’entrée des docks.
Arrivé à Paris, François me mit dans un taxi. « Vous ne
m’avez pas donné votre numéro de téléphone. – Je n’ai pas le téléphone. Appelez-moi
au bureau : Odéon 84 00. »
Point de nouvelles de l’homme au crâne rasé pendant quinze
jours (le temps de la repousse). Quand je le rencontrai par hasard, je lui fis
la gueule. « C’est moi qui devrais être fâché. Le numéro que vous m’avez
donné, vous savez ce que c’était ? L’horloge parlante ! – Certainement
pas, mon numéro est Odéon 84 60. D’ailleurs,
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