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Clopin-clopant

Clopin-clopant

Titel: Clopin-clopant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Annie François
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revient de la « Pléiade » :
« C’est incroyable que vous perdiez de l’argent à saloper un papier qui me
rapporte des fortunes »).
    Je stockais donc des petits cubes de gris dans la cuisine, au-dessus
de l’évier pour éviter tout dessèchement. Le temps passant, je les vidais dans
des bocaux de conserve égayés par une telle surabondance de rondelles de
carottes supposées les humidifier que ma réserve se couvrit d’une efflorescence
de moisi.
    Bien après 68, il y eut une autre menace de pénurie en
raison d’une grève des employés de la Seita. Les grévistes éditèrent à cette
occasion des Gauloises bleues sous un emballage rouge. François me procura
cette rareté que je protégeai de toute convoitise en le planquant dans la
pharmacie. Mais, par une nuit funeste, je ne résistai pas à la carence et
ouvris mon paquet de Gauloises bleues sous habit rouge.

Pitié, combien ?
    Consultation à la Pitié-Salpêtrière :
    « Vous prenez la pilule ?
    — Oui.
    — Évidemment !
    — Quoi, évidemment ? L’ami qui me précédait, et
que j’ai traîné à votre consultation, c’est aussi la prise de la pilule qui lui
donne du cholestérol ?
    — Mademoiselle, je n’ai pas de temps à perdre.
    — Moi non plus, monsieur. Quels autres facteurs
possibles ?
    — Vous fumez ?
    — Oui.
    — Combien de cigarettes par jour ?
    — Heu…
    — Vous avalez la fumée ?
    — Ben…
    — Il faut arrêter. Sinon à cinquante ans…
    — Vous savez, quand on a vingt-quatre ans…
    — Je vous propose ce régime alimentaire et vous arrêtez
le reste. »
    Je n’ai pas demandé mon reste. J’explorai la feuille de
régime qui détaillait ce qui était interdit (tout) sans dire ce qui était
autorisé (rien). Je renonçai donc aux plats réputés cholestérisants. Les plus
délicieux : ris de veau aux pointes d’asperge, foie gras frais poêlé, salade
de pissenlits aux gésiers confits, et plus ordinairement, vu mes finances, pommes
de terre à l’ail, sauté d’abats, tripes, jésus de Morteau aux lentilles, omelette
au lard, spaghettis à toutes les sauces. Je me demandais ce que je pourrais manger
d’autre. Je trouvai vite, mais ne transigeai jamais sur la tartine de beurre et
confiture de mon petit-déjeuner ni sur le vin aux repas. Mon taux de
cholestérol chuta. Mon poids fondit. Tout rentrait dans l’ordre, au-delà de mes
espérances.
    Par pure curiosité, je me penchai sur ma consommation
tabagique : combien d’unités par jour ? Inhalation ou non de la fumée ?
Je menai une enquête serrée sur quinze jours. Ma consommation quotidienne oscillait
entre vingt cigarettes par temps calme avec des pics à trente, quarante et plus
en cas de soirée prolongée par des empoignades politiques (la politique n’était
pas en cause : seul jouait le rapport cigarette/minute. Ces soirées s’achevant
vers l’aube, il n’y avait qu’à faire la multiplication). En revanche, si nous
dansions, je notais une chute significative de la consommation tant il est
malcommode de se trémousser une cigarette à la main.
    La question de l’inhalation ou exhalaison de la fumée était
plus délicate, rien n’étant plus difficile qu’être juge et partie, surtout en
matière de respiration, phénomène réputé automatique. Au terme d’une
auto-observation très stricte, j’établis que :
    1) j’aspirais une forte bouffée ;
    2) j’expirais les deux tiers de la fumée ;
    3) j’en avalais le dernier tiers, non sans l’avoir dilué à l’intérieur
de la cavité palatale.
    Dans la foulée, j’entrepris de corriger les approximations du
grossier décompte de ma consommation en mesurant mes mégots. Sur les sept centimètres
d’une Gauloise sans filtre, il en restait généralement entre trois et quatre. C’est
donc que je ne les fumais qu’à moitié. J’eus ainsi la confirmation de ce que je
pressentais : j’étais une allumeuse.

Arme à feu
    Ce comportement d’allumeuse, qui vaut généralement mille
déboires à maintes femmes, m’a un soir sauvée. Je rentrais d’une visite chez
mes parents. Un petit kilomètre de rues tranquilles à travers le XIV e somnolent jusque chez moi. Un petit kilomètre à grognonner contre la famille, rêvasser,
fredonner. Un sas délicieux entre deux univers si proches et si lointains. Je
poussai la porte de mon immeuble minable. Avant même que j’aie pu atteindre l’interrupteur,
un colosse s’abat sur moi, m’étreint, me

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