Complots et cabales
mon sentiment, le cardinal devait oublier, à moins que quelque violent cahot ne le lui rament˚t, que ce cabinet-là, monté sur roues, roulait sur les grands chemins de France. quelqu'un qui ne l'e˚t pas connu aurait jugé, à observer sa face maigre, triangulaire, son nez busqué et le creux de ses yeux, qu'il était mal allant. Mais il n'en était rien. Sa fragilité apparente cachait des réserves de force. Et bien que son encharné
labeur lui donn‚t un air grave et tracasseux, cette apparence était pourtant trompeuse. En fait, depuis qu'il avait quitté Paris, c'est peu dire qu'il était content : en son for il rayonnait de joie. La raison en était, qu'ayant vécu cette grande aventure du siège de La Rochelle, dont le succès lui devait tant, il s'apprêtait à en vivre une autre, inspirée par cette politique résolue et entreprenante qu'il partageait avec Louis : défendre du bec et des ongles, et partout o˘ ce serait utile, les intérêts de la France et de ses alliés, sans accepter un seul instant, comme l'eussent désiré aveuglément nos archidévots, l'hégémonie sournoise de l'Espagne.
En outre, cette nouvelle campagne, maugré les duretés de l'hiver, avait ceci d'enivrant que la supériorité de nos forces sur celles du duc de Savoie, et sur celles des Espagnols du
Milanais et des Impériaux i, nous promettait, cette fois-ci, une victoire rapide.
Richelieu ne voyait aucune incompatibilité entre sa robe de prélat et la guerre, pour peu qu'elle f˚t juste et défensive. Il était, par ailleurs, fort entiché de sa noblesse, et je ne laisse pas d'être persuadé qu'il e˚t choisi le métier des armes, si la nécessité ne l'avait contraint à devenir évêque, afin que l'évêché qui était dans sa famille ne tomb‚t, par sa faute, en désuétude. Cependant, une fois consacré, nul n'ignore qu'il s'attacha à ses devoirs de prélat avec un zèle sans défaillance et un labeur infini, tant est que son petit évêché qui était, selon ses dires, "
le plus crotté de France " devint aussi le mieux tenu. Cependant, son grand esprit, insatiable d'action et de perfection, se rapprocha par degrés des grandes affaires du royaume, auxquelles il aspirait, non par piaffe ou cupidité, mais parce qu'il savait que, parvenu au plus haut degré du pouvoir, il ferait merveilleusement bien son métier, et cette fois pour le bien, non d'un petit évêché, mais d'un vaste royaume.
Une fois dans la carrosse, et avant que je pusse même ouvrir le bec, le cardinal coupa court d'un geste aux salutations.
- Mon cousin, dit-il, Louis vous confie par ma bouche une mission délicate.
Apprenez, de prime, que Toiras est pour nous rejoindre à Grenoble avec ce qui reste de l'armée de La Rochelle, soit à peu près cinq mille hommes.
L'officier de cantonnement a reçu l'ordre de lui trouver en ladite ville, pour la durée de l'étape, un logis qu'il partagera avec vous. tes-vous contraire à cet arrangement ?
- Tout le rebours, …minence.
- C'est donc que vous aimez bien Toiras.
- je l'aime, et je l'estime aussi, cependant avec quelques nuances.
- Plaise à vous de me les préciser.
1. Il s'agit ici des soldats de l'Empereur.
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- Toiras, …minence, est un homme droit, franc comme écu non rogné, vaillant, tenace, plein de bon sens. Et il sait la guerre.
- Je ne vois pas là les nuances auxquelles vous faites allusion.
- Eh bien, …minence, disons que Toiras, par ailleurs, se paonne un peu trop de ses exploits et, par malheur, comme tous les piaffards, il est susceptible à l'excès. Tant est qu'étant d'humeur escalabreuse dès qu'il croit qu'on lui manque, il éclate en ires tempétueuses qui ne respectent rien ni personne. Sa Majesté en sait quelque chose, puisqu'il a été son favori.
En réalité, Richelieu savait tout cela aussi bien que moi, et ce qu'il t
‚chait de connaître par cet interrogatoire, ce n'était point tant les faits que les sentiments que m'inspirait Toiras.
- Pouvez-vous me citer un exemple de ces véhémentes colères ?
- L'une est célèbre, …minence, et toute la Cour la connaît.
- Contez-la néanmoins. J'aimerais ouÔr votre version.
- La voici. quand Louis fit tomber Toiras de son piédestal de favori et le remplaça par Saint-Simon, Toiras éclata, urbi et orbi, en propos violents et déprisants contre son pauvre successeur, disant haut et fort que tout le génie de ce
foutumacier de merde " avait été, à mi-chasse, de présenter tête-bêche, et
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