Complots et cabales
faisaient de ce lit une petite pièce close et chaude dans la grande. Ces rideaux, il va sans dire, n'étaient pas opaques et laissaient passer, en la filtrant joliment, la 139
lumière des bougies parfumées, lesquelles br˚laient sur les chevets à
dextre et à senestre du lit.
Le "babil des courtines" pouvait suivre ou précéder nos tumultes, mais on y venait tôt ou tard, Catherine ayant bon bec et moi-même n'étant pas paralysé de la glotte, tant est que l'habitude s'était prise de ce bec à
bec tendre et confiant, souvent jusqu'à une heure avancée de la nuit.
- M'ami ! dit Catherine, dès qu'elle fut étendue à mon côté, sa jolie face entourée de ses cheveux bouclés, et l'oeil dans la lumière des courtines vif et mordoré. Comment peut-il se faire, poursuivit-elle, qu'un aussi puissant roi ait au Louvre des ennemis qui lui donnent des inquiétudes ? Et que sont ces cabales dont il redoute le venin ?
- Si j'en crois Richelieu, m'amie, elles sont trois.
- Trois ?
- Celle des Grands, celle des femmes, celle des " étrangers " et des dévots. Elles sont toutes les trois dirigées contre Richelieu et travaillent ardemment à sa perte, laquelle, si elle était consommée, serait aussi, sinon la perte du roi, du moins une grande perte pour lui.
- qui sont ces femmes ?
- Me permettez-vous, m'amie, de suivre l'ordre de Richelieu et de commencer par les Grands ?
- qui sont-ils ?
- Ceux qui sont de la cabale, on ne les connaît pas tous, car ils marchent à pas feutrés, ayant beaucoup à perdre. Toutefois, je crois pouvoir citer le duc d'…pernon, le prince de Condé, le duc de Guise, le comte de Soissons, le duc de Bellegarde, et le duc de Montmorency.
- Et ces gens-là détestent Richelieu ?
- Du fond du coeur.
- Et quelles raisons ont-ils de nourrir pour lui tant d'aversion ?
- Ils n'ignorent pas qu'il entre dans son propos de rabaisser les Grands en ce royaume. Et dans cette perspective, qui leur est grandement à dol, la prise de La Rochelle les a frappés d'une frayeur mortelle.
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- Et pourquoi ?
- Si le roi et Richelieu sont venus à bout d'emporter une place aussi fortement remparée que celle de La Rochelle, ils pourront tout aussi bien raser " les places que nous tenons ".
- Et qui a dit cela ?
- Le duc d'…pernon.
- Et ces Grands-là sont-ils dangereux ?
- Point autant qu'ils le voudraient. Même en unissant leurs forces (ce qui serait déjà très difficile) ils ne sauraient les mesurer à celles du roi.
- Songeraient-ils à un assassinat ?
- Ils en font assurément des rêves délicieux, mais ils savent bien que ce n'est là que songe. Le roi et le cardinal sont jour et nuit puissamment protégés, et la police cardinaliste abonde en rediseurs 1, étendant partout les mailles de leurs filets, tant est que nul Grand en ce royaume ne saurait boire vin, lait ou bouillon, sans que sa tasse elle-même ne l'aille répéter à Richelieu.
- Ce qui nous amène, dit Catherine en riant, à la cabale des femmes.
- Oui-da, Madame, vous voilà donc satisfaite.
- C'est bien le moins qu'une femme veuille savoir ce qu'à la tête d'un royaume une femme serait capable de faire.
- Rassurez-vous, m'amie: beaucoup de mal!
- Monsieur, vous êtes un méchant! Et je vous veux mal de mort de cette méchantise ! Et d'ores en avant, vous n'aurez rien de moi!
Mais ce disant, elle me tendait ses lèvres qui, rencontrant les miennes, me furent si douces, si chaudes et si prenantes qu'elles dissipèrent à
l'instant l'orage qui menaçait.
- Ma mignonne, dis-je, je pense tout le rebours de ce que je vous ai dit.
Mais je ne vais pas vous conter toutes les femmes qui en Angleterre et en France excellèrent en le gouvernement d'un royaume. Ce n'est pas là le sujet.
1 Espions.
Les dames qui nous occupent sont, elles, fort funestes àl'…tat.
- Et qui sont-elles ?
- La duchesse de Guise.
- La duchesse de Guise ! Votre propre mère !
- M'amie, ne dites pas cela ! Bien que ce ne soit, à la Cour, qu'un segreto di pulcinella 1, je tiens, quant à moi, à ne jamais l'admettre, même si, malgré ses évidentes faiblesses, j'aime la duchesse de grand amour.
- Ses faiblesses ?
- Elle se tient à la Cour pour la plus haute dame après les reines et assurément elle ne l'est pas. Les princesses du sang passent avant elle.
- Et à son ‚ge elle intrigue encore ?
- ¿ vrai dire, elle n'y met que le bout d'une patte, étant prudente et mal allante. D'aucunes de ces dames sont bien plus à
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