Complots et cabales
comme on sait, au printemps de sa vie et à ses folles avoines, mais les années passées et le pécheur en lui étant venu à résipiscence, ses lèvres étant moins écarlates, et quelques creuses rides aussi qui-ci qui-là, il n'avait plus du tout cet air diabolique, non plus celui d'un chanoine, car son oeil était pétillant, ses mouvements vifs et son parler rapide.
- Ma fé ! dis-je, que faites-vous céans, Révérend docteur médecin ? Vous n'appartenez pas, que je sache, au Grand Conseil du roi!
- que nenni ! Mais étant les yeux et les oreilles du nonce 192
apostolique, je suis toléré dans le couloir du salon par respect pour Sa Sainteté le pape.
- Mais étant dehors et non dedans, que vous apporte cette attente ?
- Voici. J'attends que les conseillers sortent du Conseil, je scrute les visages des partisans du roi et de Richelieu, je scrute aussi les visages des dévots, et à l'air qu'ont les uns, et l'humeur que je vois aux autres, je tire mes petites conclusions...
- Mais pour en juger ainsi, il faudrait que vous sachiez déjà beaucoup de choses.
- Mais je sais déjà beaucoup de choses, dit Fogacer avec son sinueux sourire. Sous-estimez-vous à ce point la diplomatie du Saint-Siège ?
- Et par exemple ?
- Par exemple que les affaires de la France en Italie sont très mauvaises, et que la séance à laquelle vous allez assister, mon cher duc, sera très agitée, et j'oserais même dire, tempétueuse.
CHAPITRE VIII
Les conseillers - le roi y tenait très fermement la main -arrivaient fort ponctuellement en nos assemblées. Et le seul qui survint avec quelque retard et auquel on bailla incontinent une chaire à bras, fut le pauvre cardinal de Bérulle. J'en fus fort étonné. Si j'en croyais la redisance de la Zocoli, Marillac avait décrit son état comme étant désespéré et avait dit de lui qu'il était "
quasiment au grabat", expression bizarre, car elle veut dire, en fait, que le malade est à la mort, et non étendu sur un lit misérable, ce qui n'est s˚rement pas le cas, quand il s'agit d'un cardinal.
J'en conclus qu'en tenant ce propos à la reine-mère, Marillac, par un pieux mensonge, avait voulu l'empêcher d'appeler le cardinal à rescourre, afin de demeurer son seul et unique conseiller. Non que le pauvre Bérulle all‚t mieux. Il était p‚le comme la mort, et ne pouvait marcher qu'avec l'aide de deux clercs, l'un à dextre et l'autre à senestre, et s'assit avec un soulagement visible sur la chaire qu'on lui avait apportée.
Dans le désamour comme dans l'amour, il y a des degrés, et je désaimais moins Bérulle que Marillac, et point seulement en raison de la belle oeuvre qu'il avait accomplie en créant l'Oratoire. ¿ mon sentiment, Bérulle n'était point méchant. Il était seulement borné, et entièrement dépourvu d'imagination. quand il disait, et il le disait souvent, qu'il 194
fallait " éradiquer par le fer et le feu l'hérésie protestante ", il ne voyait, ni même n'imaginait, multipliée par mille, àl'échelle de l'Europe, une sanglante Saint-Barthélemy. Ce qu'il avait dans l'esprit restait confus et abstrait.
¿ l'accoutumée, le roi exposait au début du Conseil, sommairement, l'affaire dont il était question, et quand tous ceux qui désiraient opiner l'avaient fait, il demandait son avis à Richelieu.
C'était bailler au cardinal l'occasion d'un exposé magistral, o˘, reprenant toute l'affaire depuis le début, il en envisageait un à un tous les éléments. Après quoi, très habilement, il proposait au roi deux solutions entre lesquelles il le priait de choisir.
L'analyse était claire, complète, méthodique, elle ne faisait appel qu'aux faits et à la raison, jamais à la passion ni aux préjugés. Je ne saurais dire si Richelieu avait lu les Regulae ad directionem ingenii 1 de Descartes, paru juste après le siège de La Rochelle en 1628. Mais si Richelieu ne l'avait pas lu, il était cartésien sans le savoir. quant à
moi, j'attendais toujours avec le plus grand plaisir ses lumineux exposés.
Et combien ils étaient agréables à ouÔr après les inanités et les projets confus qui les avaient précédés !
Ce matin-là, le roi, la face imperscrutable, entra, s'assit sur l'estrade dressée devant la cheminée, le dos tourné au feu. La reine-mère s'assit avec quelque effronterie presque en même temps que le roi, et se tint fort raide sur son siège, le menton haut levé, la lèvre hautaine, le tétin arrogant et l'air, disait
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