Complots et cabales
détourner le roi d'entrer en guerre. Les autres, " que le garde des sceaux avait bien fait de vouloir sortir par la porte, car un jour viendrait o˘ on le jetterait par la fenêtre ".
Cependant le roi ne pouvait partir pour l'Italie sans s'accommoder avec son frère, toujours festoyé par notre pire ennemi, e le duc de Lorraine (et c'était là, comme avait dit Richelieu, " un os longuissime à ronger"). Nous n'en serions jamais venus à bout, si Marie de Gonzague n'avait écrit àGaston qu'elle le priait de renoncer à elle, car un mariage clandestin, en f‚chant Louis XIII, aurait mis fort en péril son père qui, assiégé dans Mantoue par les Impériaux, n'attendait son salut que du roi de France.
En mon opinion, cette demoiselle fut admirable en son filial amour, et le lecteur ne peut qu'il ne se ramentoit l'histoire de Titus, lequel, maugré
qu'il f˚t follement épris de Bérénice, laquelle l'aimait aussi, dut renoncer à elle quand il devint empereur. L'historien romain Suétone a exprimé cette situation en une formule qui par son élégance et sa concision est devenue célèbre : Invitus invitam dimisit 1.
Cependant le renoncement de Marie de Gonzague ne suffit pas aussitôt à
avancer les choses. Gaston s'accrochait comme fol à ses exorbitantes demandes de terres, de titres et de pécunes, montrant par là que la clicaille comptait pour lui
1. Malgré lui, malgré elle, il la renvoya (lat.).
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plus que Marie. Ce qui fit dire à Catherine, quand je lui contai l'histoire, que la garcelette fut bien inspirée de ne l'épouser point.
Le roi, noulant quitter Paris, tant que Gaston n'y serait point revenu, mais fort désireux, d'autre part, de ne pas lanterner plus outre, décida de dépêcher, de prime, Richelieu avec le gros des troupes en Italie, lui-même le rejoignant dès qu'il aurait fait la paix avec son frère.
Catherine fut au désespoir d'ouÔr de ma bouche ce département. Elle craignait que Richelieu ne désir‚t m'emmener derechef comme interprète en Italie. Et ses craintes se firent certitudes quand un chevaucheur, le lendemain du Conseil du roi, me vint dire, quasiment au galop, que le cardinal me voulait voir d'urgence au palais. Catherine, m'entourant avec force de ses bras et me serrant à elle, me dit, les pleurs roulant sur sa belle face, que cette " urgence " voulait dire que la décision était prise déjà, et que le cardinal m'allait arracher à elle pour m'emmener avec lui dans la froidure des Alpes et là, à coup s˚r, je serais tué par balle ou boulet, ou pis encore péri de male peste...
- M'amie, dis-je, "urgence " dans la bouche du cardinal ne veut rien dire, car il n'a jamais assez de secondes dans une minute, ni de minutes dans une heure pour venir à bout de son immense labeur. Ce qu'il veut m'annoncer ce jour, je n'en ai aucune idée, et je ne formule non plus là-dessus la moindre hypothèse. En outre, je ne suis pas le seul gentilhomme à la Cour à
parler italien. Le maréchal de Créqui en est un autre, pour ne citer que lui.
- Mais il est vieil et mal allant.
- Mal allant, m'amie, il ne l'est plus. Il se porte meshui comme un charme et son ‚ge ne l'empêche nullement, comme il fit toujours, de courre comme fol le cotillon.
que cette remarque f˚t malheureuse, je l'appris à mes dépens sans tant languir.
- Et comme vous fites vous-même, Monsieur, avant que de me marier, dit Catherine du ton d'un juge qui prononce un arrêt. Et comme vous ferez sans doute, ajouta-t-elle d'une
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voix trémulante, demain en Italie. Dieu, que j'abhorre ce pays-là ! Et tous ses habitants, hommes et femmes ! Les femmes surtout! Avec leurs yeux de jais, leur teint mat, leur chevelure brune ! Vous ne m'en direz mais : tout ce noir veut bien dire quelque chose ! Fournaises, toutes ! Putains cramantes ! Et diablesses d'Enfer!
- Madame, dis-je, vous allez trop loin! Vous insultez le gentil sesso italien.
- Gentil sesso ! s'écria-t-elle. Vous en avez plein la bouche de votre gentil sesso ! Et vous avez encore le front de le défendre !
Dieu bon! me dis-je. Ne peux-je articuler un seul mot sans qu'aussitôt il ne se retourne contre moi ? Et voilà, hélas ! Catherine tout entière possédée derechef par ce tracassin de jalousie qui l'avait saisie au sujet des deux sueurs de Suse, dont j'avais eu le tort de parler avec trop de chaleur. Ah! lecteur, nous ne sommes jamais trop prudents avec nos sensibles épouses ! De reste, qu'on soit innocent ou coupable, c'est
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