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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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j’avais encore en tête. Ignorant tout de la façon dont j’avais été jeté de cette taule, Raymond avait estimé cette activité la plus avouable parmi toutes celles où je m’étais essayé !… Je la sentais poindre, l’embrouille fécale !… Le Raymond, il allait drôlement se faire ramoner pour avoir recommandé un petit pégriot !… Putain de napperon !… et putain de gonzesse qui s’était cassé le poignet dessus, me laissant en posture de coupable !… Ferais-je pas mieux, au jour dit, d’aller plaider ma cause auprès de M. Picot ? Ne serait-ce que pour dégager la responsabilité de Raymond !… J’en avais l’appétit coupé. Mes filets de sole dieppoise me restaient en travers de la gargue en dépit de leur succulence et des coups de rosé dont je les noyais. Un temps infinitésimal, je l’avais plaint, Raymond, de s’être compromis par pure obligeance à mon égard. C’était trop beau pour durer. Déjà venait à la rescousse, pour me mettre à l’aise, mon travers d’ingratitude. Je ne lui avais rien demandé à ce petit mec !… j’en avais l’assurance !… S’il récoltait quelques emmerdes, il les avait bien cherchées, par son goût effréné du faire-valoir. Je l’avais à la caille, ce petit cresson ! Il m’avait mis dans un drôle de bain ! Ma dette chez le vieux Nadler, j’en connaissais maintenant le montant : un costard à 220 points, le lardeusse au même blot, trois limaces à 25 balles, total 515 points !… j’allais avoir fière mine me présentant au boulot le 1 er  septembre sur les dix plombes du mat’, pour m’entendre intimer par un M. Picot, pas aimable cette fois :
    — Dehors, petit arsouille !… Je connais votre passé !…
    D’imaginer la scène, j’en avais des sueurs froides. Raymond, lui, poursuivait son éloge de Deauville ; il en était, le petit tendeur  [49] , à vanter la qualité des rencontres féminines. Qu’est-ce que j’en avais à foutre moi, des prix de beauté ! Lui augurait bien de l’Avenir, sur le plan de la galanterie comme sur celui des affaires, et m’avertissait qu’en cas de réussite exceptionnelle, peut-être prolongerait-il son séjour d’une quinzaine. Cette dernière précision m’acheva. Si par chance improbable, les gens du bureau d’Eaton venaient à avoir oublié leurs suspicions injustes, et donnaient pudiquement sur moi des appréciations pas trop tartouilles, j’allais débuter chez le gars Picot, seul, comme un grand, privé pour un temps des précieux conseils que j’avais attendus de Raymond ! Il m’apparaissait alors le lâcheur très proche de ces professeurs de natation, férus de naturisme, projetant, sous le prétexte que tout animal sait d’instinct nager, leurs élèves, lors de la leçon inaugurale, dans le bain le plus profond de la piscine.
    Partagé entre trop de pensées contradictoires, passant de l’espérance à la noire pestouille, j’avais depuis un moment cessé de donner la réplique à Raymond. En eut-il du désappointement ? Était-il aussi pressé qu’il le prétendait ? Devina-t-il mon angoisse ? Brusquement dressé, et avant de s’en aller douiller nos déjeuners à la caisse, il m’étreignit la main, me disant, péremptoire :
    — Souviens-toi que dans la vie tu ne dois jamais partir battu !… En aucune circonstance !
    *
    À chacun son temps interne. Pour moi, la semaine qui suivit mon entrevue avec mon futur patron parut ne devoir jamais finir, tant m’obsédaient, sans que je parvienne à les chasser de ma tronche, des pressentiments sinistres. Imaginer être la cible de l’intérêt ou de la malveillance du plus grand nombre des gens est un des travers de la jeunesse. On gagne beaucoup à s’en guérir. J’en étais alors incapable. Je ne prévoyais que catastrophes, trahisons, contrecarres sournois, se liguant pour faire avorter mon projet de boulot, me réduire à quia !… J’avais en tête, pour animer cette sombre délectation, toute une figuration de faux derches, illustrant leurs malfaisances dans une série de situations combinatoires à l’infini de la vachardise. Ne jamais partir battu… en aucune circonstance !… Il en avait de sévères, le Raymond ! J’aurais voulu le voir avec ma tronche sur ses épaules !… Sans doute en aurait-il moins installé !…
    Le schéma le plus merdique qui s’imposait à mon cigare concernait les rencards qu’on aurait pu tuber sur ma personne chez Eaton. Avec le manque

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