Confessions d'un enfant de La Chapelle
Albert Simonin est né le 18 avril 1905, dans le quartier de La Chapelle (XVIII e arrondissement), d’un papa artisan en fleurs artificielles. Il a commencé et terminé ses études à l’école communale de la rue de Torcy. Puis à douze ans, muni du « certificat », mais trop jeune pour se sentir une vocation déterminée, il tâte de tous les petits métiers qui se présentent à ceux qui n’en ont aucun : fumiste, électricien, calicot, mécanicien en chaussures, et autres apprentissages plus ou moins éphémères.
Deux professions cependant, quelques années plus tard, éveillèrent en lui un début de vocation : les « perles et brillants », où il fut « jeune homme », et la Bourse, où il fut un temps teneur de carnets. Mais la conjoncture économique (on essuyait alors les conséquences de la grande crise de 1929) ne lui permit pas de poursuivre dans cette voie, et il se retrouva bientôt chauffeur de taxi, activité qu’il exerça de préférence la nuit. La rencontre d’un de ses collègues, le poète surréaliste Jean Bazin, qui griffonnait ses œuvres entre deux courses, l’initia à la vie littéraire. Et c’est ainsi qu’à eux deux ils rédigèrent Voilà taxi ! , publié par la N.R.F. en 1935. Ces souvenirs vécus ne passèrent pas totalement inaperçus, et permirent à Simonin de faire ses premières armes dans le journalisme.
Enfin, après avoir connu des fortunes diverses, c’est à 47 ans, en 1953 qu’il trouve enfin sa voie, et renouvelle du même coup l’art du roman policier français. En janvier de cette année-là, en effet, la « Série Noire » publie Touchez pas au grisbi ! , où soudain le récit réaliste propre au genre s’enrichit d’un langage dans lequel une rhétorique impeccable est sertie de mots d’argot. Le Cave se rebiffe , Le Hotu , Du Mouron pour les petits oiseaux , L’Élégant , et un dictionnaire, Le Petit Simonin illustré par l’exemple , font de lui un maître de ce nouveau genre. En même temps, il participe à de nombreux films comme scénariste ou dialoguiste.
Albert Simonin est mort en février 1980, sans avoir eu le temps d’écrire la suite qu’il comptait donner à ses Confessions d’un enfant de La Chapelle .
« J’étais là, telle chose m’advint…»
(Chronique des Croisades.)
« L’Enfer est pavé de bonnes intentions…»
(Dicton populaire)
Je suis venu au monde à crédit. Mon père, qui traquait l’outsider sur les hippodromes de la région parisienne, devait mettre deux années, thune après thune, à honorer Mme Weber, la sage-femme qui venait de délivrer ma brave maman. Il ne s’agissait pourtant que de cinquante francs ! Ainsi, dès mon premier vagissement, me trouvai-je voué au « croume », fatalité que la suite de mes jours ne devait pas démentir.
Cet accroissement d’une unité de la population parisienne eut pour théâtre le logis de mes parents, sis rue Riquet, à La Chapelle, XVIII e arrondissement.
Les naissances en ce temps et en ce faubourg avaient lieu, par souci de respectabilité, au domicile des géniteurs, les maternités de l’Assistance publique étant réputées dans l’esprit du populaire devoir être la ressource des filles-mères, des rôtisseuses de balais, voire des franches putes, parturientes condamnées pour cent raisons, dont la moindre était la gratuité, à l’accouchement subreptice.
Longtemps, j’ai cru que Mme Weber, mon introductrice dans ce bas monde, était de notre parenté. Cette dame nous rendait épisodiquement visite, peut-être par sympathie pour des pauvres exemplaires, mais plus vraisemblablement dans le but de surveiller sa créance, car une petite sœur, Thérèse, était venue, elle aussi à crédit, agrandir notre cercle de famille. Ma confusion sur la parenté me venait d’une coutume populaire qui voulait qu’on appelât « mon oncle » et « ma tante » des amis de la famille sans le moindre lien de sang, et c’est une des difficultés de ma petite enfance d’avoir eu à démêler le vrai du faux en cette matière.
Sur le plan des parentés d’occasion ou réelles, je dois confesser avoir été gâté, ayant eu, dans une époque qui se prêtait au pittoresque, des oncles d’une singulière originalité. Le temps était, en ce début du siècle, à la science appliquée, et les enfants de ma génération en ont peu ou prou ressenti une certaine exaltation, certaines techniques nouvelles pouvant prendre une teinte de
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