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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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inquiétude. Elles m’avaient été livrées assorties de six cols et d’autant de poignets, les uns et les autres amovibles. Selon la coutume d’alors, il n’était besoin que de changer col et poignets pour apparaître très net, même avec une liquette portée deux ou trois jours. J’entrevoyais une hémorragie sauvage de pognon chu les blanchecailles !
    *
    Petit Raymond s’était, à raison de deux soirées par semaine, attaqué à mon initiation professionnelle. Les prémices m’en séduisirent dès ma première leçon, consacrée aux poids. L’unité, dans la perle, était le grain, subdivision infime du carat, valant lui-même un cinquième de gramme ! Sans préjuger de la suite, j’eus sur-le-champ une bouffée d’euphorie, elle allait être close l’ère des coltinages épuisants. Raymond me l’affirmait, il était inconcevable dans ce boulot d’avoir à manier ou transporter au-delà de quelques centaines de grammes de camelote. J’étais conquis.
    Pour les travaux pratiques, Raymond s’était procuré une mignarde balance de précision en écrin, et son complément, un jeu de poids, si légers, qu’ils ne pouvaient être maniés qu’à l’aide de précelles. D’un portefeuille de courtier – à son chiffre – il extrayait des petits sachets de papier, recelant des perlouses que j’apprenais à peser au plus juste, retenant mon souffle, tant le moindre zéphyr pouvait influencer les petits godets de cuivre tenant lieu de plateau. Je mordais bien à cet enseignement, et dans mon zèle j’aurais souhaité des leçons plus fréquentes. Le gentil Raymond persistait à montrer pour moi un tel dévouement que je n’osais m’ouvrir à lui de ce désir de formation accélérée, comme on ne disait pas encore. L’obstacle en aurait été le lieu où me donner la leçon. J’avais naïvement imaginé que nous nous rencontrerions dans l’appartement de ses darons : il n’en fut jamais question ; et je devais à ce propos découvrir un aspect inattendu de mon nouvel ami, son côté « saute-au-bol  [46]  » ! La petite vache, bien que mon aîné d’une seule année, entretenait déjà une mignonne, sur les miches de laquelle bien des matous du coin avaient balancé des coups de sabord  [47] convoiteux. Faute de connaître son prénom, nous l’appelions entre mômes : « La Bulgare », sur la foi de sa beauté sauvage, et peut-être après tout l’était-elle ? Sa défense consistait en la vente aux voyageurs de sandwichs et de canettes de bibine, qu’elle promenait à la gare de l’Est sur une petite charrette, au long des trains en partance, industrie de faible rapport, on s’en doute, et dont une partie du produit devait aller à la famille nombreuse de cette nana vivant, à nul ne pouvait dire combien, dans une bâtisse croûlante de la rue Philippe-de-Girard. Elle avait dû être contente, cette môme, de se trouver distinguée par le fastueux Raymond, exemplaire unique dans le quartier du galant à fort répondant financier. Dans un deux-pièces meublé de la rue Louis-Blanc, aux confins du quartier, il l’avait installée, la mignonne, et c’est chez elle qu’il me dispensait son savoir, après le dîner, les jours où, selon les horaires de son service – celui de certains trains – la charmante baguenaudait sur les quais de départ son chariot de petites nourritures. De voir Raymond couplé, presque conjugalement, à cette Bulgare m’avait éclairé sur son caractère, et aussi rassuré sur un retour de flamme éventuel du côté de ma frangine. Nullement porté à l’élégiaque, le petit monstre, mais roidement réaliste. Les sens apaisés par sa gentille liaison, il paraissait avoir oublié jusqu’à l’existence de Lucienne. J’étais loin de m’en plaindre, l’amitié que je lui portais étant ainsi sauve de toutes les arrière-pensées que j’avais un moment mitonnées dans ma tronche.
    *
    Vint enfin la date de ma présentation à mon nouveau taulier. Rude journée en perspective. Tôt levé, les premiers soins donnés à notre père, les commissions faites, je fus vers les dix plombes armé de pied en cap pour la rencontre déterminante, l’obligeant Raymond m’ayant prêté un de ses chapeaux, accessoire que je n’avais pu acquérir. Mon père somnolant fort opportunément, je parvins à quitter la cambuse sans qu’il m’aperçût dans mon nouvel arroi, lequel n’aurait pas manqué de le surprendre, peut-être de l’inquiéter.

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