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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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grande glace à trois faces du salon du père Nadler, opérant en appartement, j’avais eu loisir, avant l’essayage, de bien détailler ma silhouette, face, dos, profil. Raymond avait raison, l’ensemble apparaissait peu recommandable, avec un cachet faubourg presque copié sur les fier-à-bras de La Plaine Saint-Denis, qu’on voyait parfois le samedi remonter depuis la barrière, en petites bandes provocantes, la rue de La Chapelle, un joueur d’accordéon en tête, et faisant le vide sur les trottoirs. Je devais en convenir, en dépit de mon visage poupin, j’avais la dégaine d’une petite frappe ! « Tu seras un vrai petit poisse-dudule ! », m’avait un jour prédit Mme Marguerite. Obéissant peut-être inconsciemment à cette suggestion, je m’étais, à coup sûr, composé la décourageante allure du jeune alevin, futur dos-vert  [45] .
    *
    Travestir la vérité, même en dehors des clauses imposées par le savoir-vivre, se trouve bien souvent, dans l’existence, d’obligation. La révolution amorcée par Raymond de mon personnage devait me contraindre à une série peu banale de mensonges. Par omission vis-à-vis de mon père tout d’abord. Le pauvre homme menait désormais une vie végétative, avec de brèves reprises de conscience, le temps de quelques phrases embarrassées, relayant des pensées non formulées, ce qui rendait souvent son propos obscur. Avais-je le droit de lui imposer le récit de ma nouvelle orientation ?… de mes toutes fraîches ambitions ?… de lui parler de mon avenir tel que je l’imaginais, alors qu’il s’éteignait de jour en jour un peu plus ? Depuis deux mois notre malade avait renoncé à la lecture, jadis sa passion, et il venait de perdre le goût de la cigarette, n’ayant plus pour les rouler l’agilité requise du pouce et de l’index de la main droite. Je m’en acquittais pour lui, ayant le soin d’en préparer quatre ou cinq à son intention avant de quitter la maison. Provision toute symbolique, le pauvre homme, certains jours, n’en fumant aucune, crainte de mettre le feu à sa literie par un mégot incandescent. Désirant rendre à notre père sa dépendance de tous moins sensible, nous avions récupéré à la cave la chaise d’enfant où Thérèse et moi-même avions vécu nos premiers âges. Elle se trouvait, muée en table de nuit, près du chevet du malade, offrant à portée de sa main, sur la tablette destinée aux bouillies, cigarettes, allumettes soufrées, assiette à dessert à usage de cendrier, un verre d’eau coupée de café froid. Nous ne pouvions, hélas, faire davantage.
    Pour mon frangin André, j’usai de la dernière franchise. Lui dévoilant tout de mes projets, lesquels lui apparurent séduisants. Il sembla s’en réjouir, non sans me recommander d’être digne de la première chance qui m’advenait, en me montrant attentif, travailleur, scrupuleux, en résumé honnête jeune homme. Anticipant quelque peu, j’avais pour André grossi les appointements de début, annonçant 500 points par mois. J’incluais, de la meilleure foi du monde, 150 balles de courtages futurs. Tant qu’à mentir, autant le faire avec assurance. Mon frangin fut dupe de la mienne, et en toute sérénité et confiance me consentit un prêt de cent balles, à six mois, oseille tombant à point nommé pour parfaire ma panoplie de petit conquérant de la perlouse, par la paire de pompes qui lui manquait encore. Ce fut une paire de Richelieu de chevreau glacé de chez Manfield, discrète et légère aux paturons. Je n’avais jusqu’alors chaussé que des lattes à tige : bottines à boutons dans l’enfance, puis galoches d’écolier, avant le solide brodequin du petit apprenti en tous labeurs. Aussi, appréciai-je cette nouveauté.
    Le père Nadler ayant fait fessa pour exécuter ma commande, je pus enfin juger de l’ensemble « tout tissou inglaise, méssié ! », ainsi que disait ce vieux bougre de loqueur ; et sur le « tissou », il n’avait pas lésiné, agrémentant le vêtement de flanelle bleue à fine rayure blanche d’un gilet croisé six boutons, et enrichissant le lardeusse de peigné à chevrons, bleu lui aussi, d’un col de velours. Le tout faisait bel effet, moins cascadeur, certes, que les fringues que j’abandonnais, mais la sobriété demandait, elle aussi, un apprentissage. Je devais m’en pénétrer.
    Les trois limaces signées Nadler, pour bien ajustées qu’elles fussent, me causaient quelque

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