Conspirata
tout près de lui, je vis les larmes lui monter aux
yeux. On eût dit qu’une digue venait de céder en lui et que toutes les émotions
accumulées, non seulement durant ces dernières heures mais pendant tout son
consulat, affluaient soudain à la surface. Il essaya de dire quelque chose mais
n’y parvint pas, ce qui ne fit qu’augmenter le volume des acclamations. Il ne
lui restait plus qu’à descendre les marches et, le temps qu’il arrive au niveau
du forum sous les vivats de ses amis comme de ses adversaires, il pleurait à
chaudes larmes. Derrière nous, les corps des prisonniers étaient sortis par des
crochets.
Le récit des derniers jours du consulat de Cicéron sera
rapide. Jamais civil dans l’histoire de la république ne fut autant loué que
lui à cette époque. Après avoir retenu son souffle pendant des mois, la ville
semblait pousser un grand soupir de soulagement. La nuit de l’exécution des
conjurés, le consul fut escorté chez lui par l’ensemble du sénat en une grande
procession aux chandelles et fut acclamé tout au long du chemin depuis le
forum. Sa maison était brillamment illuminée pour l’accueillir. L’entrée, où
Terentia l’attendait avec ses enfants, était parée de laurier ; ses
esclaves se rangèrent pour l’applaudir lorsqu’il gagna l’ atrium . Ce fut
un étrange retour au bercail. Cicéron était trop épuisé pour dormir, trop
affamé pour manger, trop impatient d’oublier cette affreuse affaire d’exécution
pour pouvoir parler d’autre chose. Je supposai qu’il lui faudrait un jour ou
deux pour retrouver son équilibre. Ce ne fut que plus tard que je compris que
quelque chose en lui avait changé définitivement, s’était brisé comme un
essieu. Le lendemain matin, le sénat lui décerna le titre de « Père de la
patrie ». César préféra ne pas assister à la séance, mais Crassus vint
voter avec les autres et le porta aux nues.
Toutes les voix ne s’élevèrent pas pour l’acclamer. Lorsqu’il
prit son tribunat, quelques jours plus tard, Metellus Nepos maintint que les
exécutions demeuraient illégales. Il prédit que, quand Pompée reviendrait
ramener l’ordre en Italie, il se chargerait non seulement de Catilina mais
aussi de ce petit tyran qu’était Cicéron. Malgré son immense popularité, le
consul fut suffisamment inquiet pour aller voir Clodia et lui demander de dire
en privé à son beau-frère que, s’il continuait de la sorte, Cicéron
commanderait une enquête pour déterminer ses liens avec Catilina. Les
magnifiques yeux bruns de Clodia brillèrent de plaisir à cette possibilité de
se mêler des affaires de l’État. Mais Nepos ignora tranquillement l’avertissement,
se disant avec raison que Cicéron n’oserait jamais agir contre l’allié
politique le plus proche de Pompée. Tout dépendait donc maintenant de la
rapidité avec laquelle Catilina serait vaincu.
Quand la nouvelle salutaire de l’exécution de Sura et des
autres conjurés parvint au camp de Catilina, ses partisans furent nombreux à
déserter sur-le-champ. (Je doute qu’ils eussent agi de la sorte si le sénat
avait voté l’emprisonnement à vie.) Comprenant que Rome n’était plus à leur
portée, Catilina et Manlius décidèrent alors de mener l’armée rebelle vers le
nord, avec l’intention de franchir les Alpes pour gagner la Gaule transalpine
et y créer une enclave montagneuse où ils pourraient tenir pendant des années.
Mais l’hiver approchait et Metellus Celer bloquait les cols les plus bas avec
ses trois légions. Pendant ce temps, l’autre armée du sénat, commandée par
Hybrida, était lancée aux trousses des rebelles. Ce fut contre ce dernier
adversaire que Catilina décida de se battre, choisissant une plaine étroite à l’est
de Pise.
Bien évidemment, il y eut des soupçons, qui persistent
encore aujourd’hui, selon lesquels il aurait été, depuis le début, secrètement
en contact avec son vieil allié Hybrida. Cicéron avait prévu cela aussi et,
lorsqu’il parut clair que la bataille aurait lieu, le lieutenant expérimenté d’Hybrida,
Marcus Petreius, ouvrit les ordres cachetés qu’on lui avait remis à Rome.
Ceux-ci lui donnaient le commandement effectif des opérations et indiquaient qu’Hybrida
devait prétexter une maladie pour ne pas prendre part au combat ; s’il
refusait, Petreius avait ordre de l’arrêter. Cependant, dès qu’il fut informé
de ces dispositions, Hybrida accepta promptement
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