Conspirata
qu’il
avait remarquée lorsqu’il était allé convaincre le préteur de prendre le
commandement de l’armée contre Catilina. Elle appartenait alors à Crassus mais
avait auparavant été la propriété du tribun immensément riche M. Livius Drusus.
On raconte que l’architecte qui l’avait conçue avait promis à Drusus qu’il lui
construirait une maison d’où il pourrait voir tout autour de lui et où il
serait à l’abri de tous les indiscrets, sans qu’aucun voisin y pût plonger ses
regards. « Au contraire, aurait répliqué Drusus, dispose ma maison pour
que tout ce que je ferai puisse être aperçu de tout le monde. » Et c’était
effectivement ce genre de bâtisse : perchée sur la colline, massive,
vaste, prétentieuse, visible de tous les coins du Capitole et du forum. Elle
jouxtait d’un côté la maison de Celer et de l’autre un grand jardin public et
un portique érigé par le père de Catulus. Je ne sais pas qui lui mit en tête d’en
faire l’acquisition, j’imagine que ce devait être Clodia. En tout cas, elle
mentionna lors d’un dîner que la maison était toujours à vendre et que ce
serait « merveilleusement amusant » de l’avoir pour voisin.
Naturellement, cela poussa Terentia à s’opposer à cette idée dès le début.
— Elle est trop moderne et elle est vulgaire,
décréta-t-elle. C’est exactement l’idée qu’un parvenu se fait de l’endroit où
doit vivre un homme respectable.
— Je suis le Père de la Patrie. Les gens aimeront l’idée
que je les contemple avec un regard paternel. Et c’est là que nous méritons de
vivre, parmi les Claudii, les Aemilii Scauri, les Metelli – les
Cicéron sont une grande famille à présent. Et puis je croyais que tu détestais
être ici.
— Je ne m’oppose pas à l’idée de déménager, mon époux,
mais à l’idée de déménager là-bas . Et où trouverais-tu les moyens ?
C’est l’une des plus grandes maisons de Rome. Elle doit valoir au moins dix
millions.
— Je vais aller voir Crassus. Il me fera peut-être un
prix.
La maison de Crassus, située elle aussi sur le Palatin,
paraissait trompeusement modeste vue de l’extérieur, surtout pour quelqu’un
dont on disait qu’il possédait huit mille amphores remplies de pièces d’argent.
Il recevait chez lui avec son boulier et ses livres de comptes, entouré d’une
équipe d’esclaves et d’affranchis qui s’occupaient de ses affaires. J’accompagnai
Cicéron lorsqu’il s’y rendit et, après quelques remarques préliminaires
concernant la situation politique, Cicéron aborda la question de la maison de
Drusus.
— Tu veux l’acheter ? demanda Crassus, soudain
intéressé.
— C’est possible. Combien coûte-t-elle ?
— Quatorze millions.
— Aïe ! C’est beaucoup trop cher pour moi, désolé.
— Je te la laisse pour dix.
— C’est très généreux, malheureusement c’est encore
hors de ma portée.
— Huit ?
— Non, vraiment Crassus – c’est très gentil,
mais je n’aurais jamais dû aborder la question, dit Cicéron en commençant à se
lever.
— Six ? proposa Crassus. Quatre ?
Cicéron se rassit.
— Je pourrais arriver à t’en offrir trois.
— Pourrait-on se mettre d’accord sur trois et demi ?
Pendant le trajet du retour, j’essayai prudemment de
suggérer que faire l’acquisition d’une telle demeure pour le quart de sa valeur
réelle ne ferait pas bonne impression sur ses électeurs. Ils trouveraient
sûrement ça louche.
— Qui se soucie des électeurs ? répliqua Cicéron.
Quoi que je fasse, je ne pourrai pas me représenter au consulat avant dix ans.
Et de toute façon, ils n’ont pas besoin de savoir combien je l’ai payée.
— Ça ressortira à un moment ou à un autre, l’avertis-je.
— Par tous les dieux du ciel, vas-tu cesser de me faire
la leçon sur ma façon de vivre ? C’est déjà assez pénible d’avoir à le
supporter de la part de ma femme sans avoir à l’accepter de mon secrétaire !
N’ai-je pas enfin gagné le droit à un peu de luxe ? Sans moi, la moitié de
cette ville ne serait plus qu’un tas de cendres et de briques calcinées !
Ce qui me fait penser… avons-nous reçu des nouvelles de Pompée ?
— Non, répondis-je en baissant la tête.
Je n’insistai pas davantage, mais je continuai d’être inquiet.
J’étais absolument certain que Crassus voudrait quelque chose en échange de son
manque à gagner ; sinon, cela
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