Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Conspirata

Conspirata

Titel: Conspirata Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Harris
Vom Netzwerk:
quittât Rome
pendant un an ou deux pour gouverner une province : le mythe aurait grandi
durant son absence et il serait devenu une légende. Mais il avait cédé ses
provinces à Hybrida et à Celer, et il ne lui restait rien d’autre à faire que
de demeurer en ville et reprendre son métier d’avocat. La familiarité fait
perdre tout attrait aux personnages les plus fascinants : on trouverait
probablement ennuyeux Jupiter lui-même si on le croisait tous les jours dans la
rue. Peu à peu, l’éclat de Cicéron se ternit. Pendant plusieurs semaines, il s’occupa
à me dicter un énorme compte-rendu de ce qu’il avait accompli durant son
consulat dans l’intention de le remettre à Pompée. Le rapport avait la taille d’un
livre et justifiait chacune de ses actions dans ses moindres détails. Je savais
que c’était une erreur et j’essayais toutes les tactiques possibles et
imaginables pour en différer l’envoi – en vain. Il partit par
courrier spécial en Orient et, en attendant la réaction du grand homme, Cicéron
entreprit de mettre en forme et de publier les discours qu’il avait prononcés
pendant les événements. Il y inséra de nombreux morceaux de bravoure sur
lui-même, en particulier dans le discours public donné aux rostres le jour de l’arrestation
des conjurés. J’étais tellement inquiet qu’un matin, alors qu’Atticus partait,
je le pris à part et lui en lus un ou deux extraits.
    — « Le jour où la vie nous fut conservée n’est
pour nous ni moins heureux ni moins solennel que le jour qui nous vit
naître ; et puisque la reconnaissance de nos pères a placé parmi les dieux
immortels le fondateur de cette ville, vous garderez sans doute aussi, et
transmettrez à vos descendants, le souvenir du magistrat, qui, la trouvant
fondée et agrandie, la sauva de la ruine. »
    — Quoi ? s’exclama Atticus. Je ne me souviens pas
de l’avoir entendu dire une chose pareille.
    — Il n’a rien dit de tel, répondis-je. Se comparer à
Romulus en un tel moment lui aurait paru absurde. Et écoute ceci…
    Je baissai la voix et regardai autour de moi pour m’assurer
que Cicéron ne se trouvait pas à proximité.
    — « Pour prix de si grands services, je ne vous
demande, Romains, aucune récompense, aucune distinction, aucun monument de
gloire sinon un souvenir impérissable de cette grande journée. L’avenir saura
que, dans un seul et même temps, deux hommes se rencontrèrent, dont l’un reculait
par-delà des bornes connues de la terre les limites de l’empire, tandis que
l’autre lui conservait sa capitale, le siège même de sa vaste puissance… »
    — Laisse-moi voir ça, demanda Atticus.
    Il me prit le texte des mains et le lut en entier, secouant
la tête avec incrédulité.
    — Se mettre au même niveau que Romulus, c’est une
chose, mais se comparer à Pompée en est une autre. Ce serait déjà assez
dangereux si c’était quelqu’un d’autre qui le disait sur lui, mais qu’il le
clame lui-même … ? Espérons que Pompée n’en aura jamais vent.
    — Il le saura.
    — Pourquoi ?
    — Parce que j’ai reçu l’ordre de lui en envoyer un
exemplaire.
    Une fois encore, je vérifiai que personne n’écoutait.
    — Pardonne-moi si je parle sans en être prié, m’excusai-je,
mais il me donne bien du souci. Il n’est plus le même depuis les exécutions. Il
ne dort pas bien, il n’écoute personne et pourtant il ne supporte plus de
rester seul ne serait-ce qu’une heure. Je crois que la vision de ces morts l’a
affecté – tu sais comme il est délicat.
    — Le problème ne vient pas de sa nature trop sensible
mais de sa conscience. S’il était absolument certain de la justesse de son
action, il n’éprouverait pas le besoin de se justifier sans cesse.
    La remarque était très pertinente et, avec le recul, je
plains davantage Cicéron aujourd’hui que je ne le fis à l’époque, car il devait
se sentir très seul à essayer de s’ériger en monument public. Cependant, sa
plus grande folie ne fut pas son rapport vaniteux envoyé à Pompée ni ses
vantardises incessantes, ni son discours revu et corrigé : ce fut une
maison.
    Cicéron n’était pas le premier homme politique, et je suis
certain qu’il ne sera pas le dernier, à convoiter une maison au-dessus de ses
moyens. Dans son cas, la maison en question était la grande demeure condamnée voisine
de celle de Celer, qui se trouvait dans Clivus Victoriae, sur le Palatin, et

Weitere Kostenlose Bücher