Conspirata
l’espace.
Ma sœur, pourtant femme de consul et qui a tant à sa disposition, me donne tout
au plus un pied.
— Allons, répliqua Cicéron, ne te plains pas ; tu
sauras bien, quand tu le voudras, lui en faire lever deux.
C’était la première fois que j’entendais Cicéron faire une
plaisanterie grivoise, et il la regretta par la suite comme n’étant « pas
très consulaire ». Sur le moment, il fut assez satisfait car elle suscita
des explosions de rire de la part de toute l’assistance, et fit prendre à
Clodius une superbe nuance de pourpre sénatoriale. La réplique devint célèbre
et fit le tour de la ville même si, heureusement, personne n’eut le courage de
la répéter directement à Celer.
Puis, du jour au lendemain, tout changea et, comme d’habitude,
le responsable en fut César – qui, bien qu’éloigné de Rome depuis
bientôt un an, n’avait jamais vraiment quitté les pensées de Cicéron.
Un après-midi, vers la fin du mois de mai, Cicéron se tenait
au premier rang de la curie, près de Pompée. Je ne sais plus pourquoi, il était
arrivé tard, sinon, je suis certain qu’il aurait eu vent de ce qui se
préparait. Là, il apprit la nouvelle en même temps que tout le monde. Une fois
les augures pris, Celer se leva et annonça qu’une dépêche de César
venait d’arriver d’Hispanie ultérieure, et qu’il se proposait de la lire.
— « Au sénat et au peuple romain, de Gaius
Julius César, imperator … »
Au mot « imperator », un frisson d’excitation
parcourut la chambre, et je vis Cicéron se redresser brusquement et échanger un
regard avec Pompée.
— « De Gaius Julius César , imperator,
répéta Celer avec plus d’emphase encore, salutations. L’armée va bien. J’ai
mené une légion et trois cohortes de l’autre côté des montagnes d’Herminius et
pacifié des territoires situés de part et d’autre du fleuve Durius. Depuis
Gades, j’ai dépêché une flottille et pris Brigantium, à sept cents milles au
nord. J’ai soumis les Caléciens et les Lusitaniens et j’ai été salué comme
imperator par mes soldats sur le champ de bataille. J’ai conclu des traités qui
rapporteront un revenu annuel de vingt millions de sesterces au Trésor. La
domination de Rome s’étend maintenant jusqu’aux côtes les plus lointaines de la
mer Atlantique. Longue vie à la république. »
César s’exprimait toujours de manière assez laconique et il
fallut un moment au sénat pour saisir l’ampleur de ce qu’il venait d’entendre.
César n’avait été chargé que de gouverner l’Hispanie ultérieure, province jugée
plus ou moins pacifiée, mais il s’était débrouillé pour conquérir le pays
voisin ! Son vieil allié Crassus se leva aussitôt et proposa que les
victoires de César soient accueillies par trois jours de grâces nationales.
Pour une fois, Caton lui-même fut trop hébété pour protester, et la motion fut
adoptée à l’unanimité. Puis les sénateurs s’éparpillèrent dans le chaud soleil.
La plupart discutaient avec excitation de cet exploit formidable. À l’exception
de Cicéron : au milieu de cette foule animée, il marchait avec la lenteur
et les yeux baissés de quelqu’un qui suit une procession funèbre.
— Après avoir été tant de fois au cœur du scandale et
au bord de la ruine, je le croyais fini, me glissa-t-il alors que nous
arrivions à la porte, du moins pour une année ou deux.
Il me fit signe de le suivre, et me conduisit dans un coin
ombragé du senaculum où nous ne tardâmes pas à être rejoints par Hortensius,
Lucullus et Caton. Ils affichaient tous les trois une mine d’enterrement.
— Alors, quelle sera la prochaine étape pour César ?
demanda sombrement Hortensius. Va-t-il se présenter au consulat ?
— Je dirais que cela ne fait aucun doute, non ?
répondit Cicéron. Il peut sans problème se payer la campagne – s’il
est prêt à donner vingt millions au Trésor, vous pouvez être sûrs qu’il en a
gardé autant pour lui-même.
À cet instant, Pompée passa près d’eux, la mine pensive, et
le petit groupe se tut jusqu’à ce qu’il soit assez loin pour ne plus les
entendre.
— Voilà le Pharaon, commenta Cicéron à voix basse. Son
grand esprit pesant va tourner comme une meule. En tout cas, je sais à quelle
conclusion j’arriverais si j’étais à sa place.
— Qu’est-ce que tu ferais ? demanda Caton.
— Je proposerais un marché à
Weitere Kostenlose Bücher