Conspirata
mon frère en Sicile – en
dépit de tous tes efforts.
Elle lui décocha un sourire aussi chaleureux qu’un coup de
lame et poursuivit son chemin, laissant dans son sillage une bouffée de parfum
subtil. Celer haussa les épaules.
— Eh bien, tant pis. J’aurais aimé qu’elle te parle
autant qu’à ce fichu poète qui lui court sans cesse après. Mais elle reste très
loyale envers Clodius.
— Conçoit-il toujours le projet de devenir plébéien ?
demanda Cicéron. Je n’aurais pas cru que l’idée d’avoir un plébéien dans la
famille puisse être bien accueillie avec tous tes illustres ancêtres.
— Ça n’arrivera jamais, répondit Celer en s’assurant
que Clodia n’était plus à portée de voix. Entre nous, je trouve que ce garçon
est une véritable honte pour les miens.
Au moins cette confidence rasséréna-t-elle quelque peu
Cicéron car, par ailleurs, toutes ses manœuvres politiques n’avaient abouti à
rien et, le lendemain, en dernier recours, il alla voir Caton. Le stoïque
vivait sur l’Aventin, dans une belle maison artistiquement négligée qui sentait
la nourriture avariée et le linge sale, et n’avait rien d’autre à offrir pour s’asseoir
que de dures chaises en bois. Les murs étaient nus. Il n’y avait pas de tapis.
J’entrevis par une porte ouverte deux jeunes filles graves et ordinaires
occupées à coudre, et je me demandai s’il s’agissait des filles ou des nièces
que Pompée avait désiré épouser. Comme Rome eût tourné différemment si
seulement Caton avait consenti à ce mariage ! Nous fûmes introduits par un
portier boiteux dans une petite pièce sombre où Caton s’acquittait de ses
tâches officielles sous le buste de Zénon. Cette fois encore, Cicéron exposa
ses raisons de vouloir trouver un compromis avec Pompée, mais Caton, comme les
autres, ne voulut pas en entendre parler.
— Il a déjà trop de pouvoir, assura-t-il, reprenant son
refrain habituel. Si nous laissons ses soldats constituer des colonies dans
toute l’Italie, il aura une armée toute prête à sa disposition et, au nom du
ciel, pourquoi devrions-nous confirmer tous ses traités sans les étudier un par
un ? Sommes-nous le gouvernement suprême de la République romaine ou de
petites filles censées obéir aux ordres ?
— C’est vrai, convint Cicéron, nous devons toutefois
affronter la réalité. Quand je suis allé le voir, il n’aurait pu se montrer
plus clair sur ses intentions : si nous ne travaillons pas avec lui, il
trouvera un tribun qui soumettra ses lois à une assemblée populaire, et cela
impliquera des conflits sans fin. Ou pis, il tentera sa chance auprès de César
dès que celui-ci sera rentré d’Espagne.
— De quoi as-tu peur ? Les conflits peuvent se
révéler salutaires. Les bonnes choses ne s’obtiennent que de haute lutte.
— Je ne vois pas quel bien pourrait résulter d’un
affrontement entre le peuple et le sénat, crois-moi. Ce sera comme le procès de
Clodius, mais en pis.
— Ah ! s’exclama Caton en écarquillant ses grands
yeux fanatiques, tu mélanges des problèmes qui n’ont rien à voir. Clodius n’a
pas été acquitté à cause du peuple, mais parce que le jury a été acheté. Et il
existe un remède évident contre la corruption des jurés, que j’ai bien l’intention
de faire appliquer.
— Qu’entends-tu pas là ?
— J’ai l’intention de déposer une loi devant le sénat
proposant de retirer à tous les jurés qui ne sont pas sénateurs l’immunité qui
les empêche traditionnellement d’être poursuivis pour corruption.
— Tu ne peux pas faire ça ! s’écria Cicéron en s’arrachant
les cheveux.
— Pourquoi pas ?
— Parce que ça aura l’air d’une attaque menée par le
sénat contre la plèbe !
— Ça n’a rien à voir. C’est une attaque menée par le
sénat contre la malhonnêteté et la corruption.
— C’est possible, cependant en politique, l’apparence
compte parfois plus que la réalité des choses.
— Alors il faut que la politique change.
— Je te supplie de ne pas le faire maintenant… pas avec
tout ce qui se passe déjà.
— Il n’est jamais trop tôt pour mener une action juste.
— Ecoute-moi, maintenant, Caton. Ton intégrité est peut-être
inégalable, mais elle te fait perdre tout sens commun, et si tu continues de la
sorte avec tes nobles intentions, tu vas détruire notre pays.
— Mieux vaut être détruits que réduits à une
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